Il faut avouer que la Tunisie compte entre 30.000-50.000 sites historiques et archéologiques, des sites à surveiller et à protéger en permanence avec si peu de moyens: une mission digne des 12 travaux d'Hercule!
7 Mars 1886: Un décret pour la sauvegarde du patrimoine tunisien
Sous le protectorat français, en 1885, le ministère de l'Instruction publique de concert avec l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres rédige un texte instituant un "Service des Antiquités et des Arts".
Ainsi, le décret du 7 Mars 1886 est promulgué pour la sauvegarde du patrimoine tunisien....le premier du genre en Tunisie.
Cependant, la gestion des monuments islamiques, qui dépendent alors de la "Djemaïa des Habous", n'étaient pas du ressort du service nouvellement crée.
Ce n'est qu'à la fin du XXème siècle, que la définition de l'objet patrimonial, fut étendue aux bâtiments, aux sites naturels et à l'architecture islamique.
Annales de la police: Le palmarès des vols
Je citerais dans ce qui suit les faits les plus rapportés dans les chroniques en matière de coups de filets contre des trafiquants de pièces archéologiques depuis 2011:
•Mars 2017: Les autorités tunisiennes déjouent une opération de trafic d'une rare copie de la Torah datant du XVème siècle écrite sur un rouleau de peau de bovin mesurant 37 m sur 47 cm de largeur. Un groupe de suspects ont été arrêtés en tentant de faire sortir l'objet hors de la Tunisie vers un pays européen.
•Mars 2017: Un réseau de trafic de pièces archéologiques est démantelé par les unités de sécurité de Sbiba (Kasserine).
Un total de 308 fausses pièces archéologiques et 4 pièces originales ont été saisies.
•Février 2017: Quatre individus sont arrêtés à Sousse en possession de 663 pièces de monnaie antiques.
•Février 2017: Deux hommes et une femme sont arrêtés à Hammam-lif (banlieue sud de Tunis). Selon les autorités, les trois personnes sont actives dans un réseau de trafic d'antiquités.
•Février 2017: Deux individus appartenant à un réseau agissant dans le commerce des pierres précieuses et archéologiques à Grombalia (Nabeul) sont appréhendés.
•Décembre 2016: Démantèlement de 11 cellules terroristes qui ont des liaisons avérées avec des réseaux de trafic d'antiquités.
•Mars 2016: Arrestation de 3 individus en possession de 2 pièces archéologiques à Souassi.
•Janvier 2016: Plus de 600 œuvres d'art volées datant de l'ère ottomane et des tableaux d'artistes peintres tunisiens, d'une valeur de 4 millions de dinars, ont été saisis.
•Janvier 2014: Un individu est arrêté à l'aéroport de Sfax en possession de 920 pièces de monnaie antiques dans l'intention de les vendre en Europe.
•Décembre 2013: Une statuette en marbre blanc représentant Ganymède, en compagnie d'un aigle, une pièce datant du Vème siècle est volée du musée paléochrétien de Carthage.
L'un des suspects dans l'affaire du vol, en état d'arrestation, et l'un des gardiens du musée, décède trois semaines après. Une mort qui soulève un questionnement!
•Juillet 2012: Arrestation à Kairouan de deux suspects pour trafic de pièces archéologiques: 36 objets sont saisis.
Un ancien directeur de l'Institut National du Patrimoine inculpé et emprisonné
La seule condamnation effective qui fut médiatisée est celle d'un ancien maire de Tunis et ex-directeur de l'Institut National du Patrimoine (INP), et du gendre du président déchu, les deux condamnés en Janvier 2012 à une peine de 5 ans de prison, pour trafic de pièces archéologiques.
Depuis deux ans, des dizaines d'affaires de trafic organisé à grande échelle, sont instruites en justice.
INTERPOL aux trousses des trafiquants
Les bases de données d'INTERPOL renferment plus 47.000 cas d'objets d'art volés.
La répartition géographique de ces vols est comme suit:
•Europe: 74%.
•Région Asie-Pacifique: plus de 3%.
•Afrique subsaharienne: moins de 1%.
•Reste du monde: 22 %.
D'après INTERPOL, ces statistiques ne reflètent pas le trafic d'antiquités dans le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord avant les révoltes et les conflits qui ont plongé ces régions dans le chaos.
INTERPOL affirme que le trafic s'est développé d'une façon inquiétante depuis 2011.
Néanmoins, durant la période 2006-2015, plusieurs objets d'arts et pièces archéologiques ont été récupérés et rapatriés dans leurs pays d'origine:
•Europe: 80%.
•Moyen Orient et Afrique du Nord: 10%.
•Asie-Pacifique: 3.85%.
•Afrique Subsaharienne: 0.14%.
Quand les Tunisiens brillent à l'échelle internationale
Deux grands faits insolites ont été rapportés par la presse internationale:
•Février 2014: les autorités françaises découvrent 81 pièces archéologiques d'origines tunisiennes déposées à même le sol devant le musée gallo-romain Bavay de Paris.
Les articles ont été abandonnés par deux jeunes tunisiens que leurs familles avaient exfiltrés de la Tunisie.
•Avril 2014: les gouvernements tunisien et algérien signent un accord pour la restitution du "Masque de Gorgone".
Une pièce archéologique très rare pesant 320 kg volée du site Hippo Regius à Annaba (Algérie) en 1996 est récupérée en Tunisie.
Le 13 Avril 2014, le masque fut rapatrié en Algérie et est maintenant exposé au Musée National des Antiquités à Alger.
•Novembre 2014: Le ministère tunisien de la Culture intervient pour interrompre la vente de plusieurs pièces archéologiques à Paris dans une vente aux enchères organisée par la célébrissime Maison Million Drouot.
Le lot mis à la vente comprend une tête romaine en marbre et des pièces en céramique d'El Aouja.
Coopération USA-Tunisie
En novembre 2015, dans le cadre du "Dialogue Stratégique USA-Tunisie", les deux pays avaient convenu d'entamer des discussions pour collaborer sous la convention de l'UNESCO de 1970 contre le trafic illicite des biens culturels.
"À travers cette coopération, nous visons la prévention des fouilles illégales et du trafic du riche et unique patrimoine culturel de la Tunisie...." dixit le secrétaire d'État américain.
Auparavant, en Mai 2014, le prestigieux "Smithsonian Institute" et le ministère de la Culture déclarèrent leur intention de collaborer pour numériser toutes les antiquités du musée du Bardo et de promouvoir le tourisme tunisien.
Terrorisme international et trafic de pièces archéologiques: Un Tunisien à la tête du réseau Daech
En Avril 2016, selon les déclarations de l'envoyé russe à l'ONU, Daech écoulerait dans le marché noir des antiquités et des pièces archéologiques rapportant prés de 200 Millions USD (500 Millions TND).
La plupart des pièces proviennent de la Syrie et de l'Irak.
Selon le diplomate russe, 100.000 objets, et 4.500 sites archéologiques, dont 9 sont classés patrimoine mondial par l'UNESCO, sont sous contrôle de Daech.
Le 15 Mai 2015, lors d'un raid aérien mené par les forces spéciales US sur un village prés de "Deir ez-Zor" en Syrie, le leader terroriste d'origine tunisienne "Fathi Ben Awn Ben Jildi Murad al-Tunisi", alias "Abu Sayyaf" fut tué.
Les documents récupérés après le raid, révélèrent que ce tunisien avait à charge la gestion du "Diwan al-Rikaz" ou "Département des ressources naturelles".
"Abu Sayyaf" gérait un système bien organisé avec des départements dédiés à la recherche, à la découverte et à l'exploitation de nouveaux sites archéologiques et un système d'octroi de licences et de permis pour l'excavation!
Des documents révèlent aussi que ce Tunisien était actif dans le trafic des pièces archéologiques depuis les années 1980!
En conclusion, il est patent que le trafic et le commerce illicite de pièces archéologiques a de beaux jours devant lui.
Je finirais, non sans sarcasme, par cette question: Est-il temps d'organiser ce secteur, qui est devenu, bon gré mal gré, un secteur d'activité économique, bien qu'illégal?
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