Samy Ben Redjeb est le fondateur du label "Analog Africa", créé en 2007 et basé à Frankfort. Ce jeune Tuniso-Allemand, féru de musique afro dont il est aujourd’hui fin connaisseur, est ce qu’on appelle dans le milieu un crate digger, un fouineur de disque professionnel, capable de passer des heures au milieu de centaines de trente-cinq et quarante-cinq tours afin de dénicher la perle rare.
Guidé par sa passion, il réalise le portrait intime de musiciens légendaires qu’il rencontre sur le terrain pour faire voyager l’histoire de leurs créations et de la scène musicale de leur pays, à travers la réalisation de disques précieusement documentés.
Le
HuffPost Tunisie a rencontré pour vous celui qui ressuscite des joyaux de la musique africaine des années 1960-70, trop souvent délaissés sur le continent, en leur offrant une seconde vie auprès des mélomanes du monde entier.
HuffPost Tunisie: Quelle a été l’impulsion qui a mené à la création du label Analog Africa?
Samy Ben Redjeb: Le label a été officiellement créé en 2007 mais j’avais commencé à travailler dessus en 2001.
L’envie de faire un label est même venue un peu plus tôt, en 1997-98, quand je suis tombé sur la première cassette, enregistrée en 1977, d’un artiste venu du Zimbabwe qui s’appelait Oliver Mtukudzi. Je suis tombé fou amoureux de cette cassette et je me suis dis que si j’aimais d’autres personnes devaient aimer aussi. Je suis parti au Zimbabwe pour le rencontrer, pour voir s’il y avait moyen de prendre ça en licence. C’était une période où il avait perdu son frère qui était le manager et une partie de son groupe en l’espace d’un an à cause du sida, j’ai donc attendu qu’il soit prêt.
Quand je suis revenu au Zimbabwe pour revoir Oliver, il avait refondé un groupe. Trois ans se sont écoulés entre sa rencontre et la fondation de mon label, c’est durant cette période qu’il a enregistré le disque qui a eu le plus de succès de l’histoire du Zimbabwe.
Son manager m’a alors fait comprendre qu’il avait trop de demandes. Je me suis dis tant pis, je suis alors tombé sur la cassette d’un autre groupe local avec autant de talent, qui s’appelait The Green Arrows. C’était comme un cadeau de Dieu!
J’ai rencontré le musicien du groupe qui est devenu mon ami. Comme je travaillais chez Lufthansa en 2001, je repartais au Zimbabwe tous les six mois. L’histoire est devenue solide, j’ai fini par écrire un petit livre et j’ai fait le lancement de Green Arrows en 2007, j’ai donc mis six ans pour mettre au point ma première compile!
Comment vous est venue cette passion pour la musique?
Depuis que j’étais gosse en Tunisie, la musique était mon refuge pendant mon enfance. J’avais treize ans, ma sœur sortait avec un garçon et il m’a donné une cassette, probablement pour que je les laisse tranquilles. Je me rappelle avoir pris une grosse claque en l’écoutant, c’est là que j’ai compris que la musique allait jouer un très grand rôle dans ma vie.
J’avais un petit poste qui était cassé et ne laissait pas d’espace entre les enregistrements donc je faisais des mix sur des cassettes que je vendais chez le boulanger d’à côté, une pâtisserie… C’est comme ça que je me faisais des sous.
Et pour la musique africaine en particulier?
Paul Simon a enregistré le disque Graceland basé sur la musique sud-africaine, sa maison de disque n’étant pas intéressée, il a tout financé lui-même et il est parti en Afrique du Sud. J’avais vraiment connecté avec ça!
Je me rappelle être tombé sur le morceau Gumboots, qui fait référence à la danse des miniers portant des grandes bottes en plastique. C’est une musique très joviale alors que c’est une population qui fait face à des choses très dures comme l’apartheid, ils sont très positifs et ça m’a vraiment touché!
Dans son disque un texte indique les groupes avec lesquels il avait enregistré. En 1994, alors que j’avais trouvé un boulot au Sénégal comme moniteur de plongée, j’allais au marché avec la liste de musiciens en disant que je cherchais ces disques. J’en ai trouvé quelques-uns au Sénégal et c’est à ce moment là que j’ai commencé à aimer la musique africaine. C’était différent de la musique qu’on écoutait en Europe!
Vous avez sillonné beaucoup de pays africains, quels sont ceux avec lesquels vous avez eu le plus d’affinité?
Le Zimbabwe avec les Green Arrows, car c’était mon premier disque. J’ai voulu m’inspirer de la série "Éthiopiques" dédiée à la musique éthiopienne, qui a notamment rendu célèbre Mulatu Astatke. Mon idée était de faire ce principe de séries pour le Zimbabwe, mais la situation locale était difficile, les gens avaient du mal à se nourrir, je me sentais mal-à-l’aise de venir pour faire quelque chose qui n’était pas lié à l’humanitaire.
Je suis tombé sur un disque de Gnonnas Pedros, un musicien du Bénin. En allant au Bénin j’ai fait énormément de découvertes, alors qu’on m’avait déconseillé ce pays car il était tout petit. Mais ce que les gens ne savaient pas c’est qu’au Bénin la maison de disque Satel a ouvert. C’était une compagnie de pressage de disque qui permettait de faire cela localement sans avoir à envoyer de disque en France. Tous les pays voisins se rendaient donc au Bénin pour faire presser les disques, ça a généré énormément de productions. Donc j’ai vraiment une affinité avec le Bénin, en ce moment c’est aussi la Somalie qui m’a chopé, ce sont deux pays que j’adore!
Ici avec le Colonel Abshir, qui (avec 2 autres personnes) a réussi à repousser les milices d'Al Shabab qui étaient venues pour ravager les archives de la radio. Il a reçu la médaille d'honneur du président somalien la semaine dernière.
Pour chaque disque, vous poursuivez un véritable travail de recherche…
Je rencontre les musiciens, les gens qui sont directement sur le terrain, ce sont des histoires personnelles qu’on me donne. J’arrive à retracer le développement d’une scène musicale dans un pays à travers les récits et les contes des gens qui ont créé justement cette scène. Les groupes que je rencontre sont souvent des groupes légendaires dans le pays même, ce sont vraiment ceux qui ont commencé la musique dans le pays, les premiers groupes.
J’ai rencontré un groupe dans une petite ville du Nord du Bénin, Parakou. Le père de Mousa Mama un des grands musiciens de la ville, est parti au Ghana où il a appris la musique avant de revenir au Bénin, de fonder un groupe et d’apprendre aux jeunes à jouer, c’était le premier à faire ça! C’était aussi celui qui avait fondé un des premiers groupes modernes de Parakou. On commence pratiquement à zéro donc quand quelqu’un te donne cette histoire, tu retraces pratiquement l’histoire de cette ville musicalement!
Quelles sont les productions phares du label?
Je dirais African Scream Contest, le Poly-Rythmo (NDLR: Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou), les disques angolais et du Ghana ont très bien marché aussi, le Space Echo ou encore Pop Makossa. Après, personnellement, le Super Borgou de Parakou dont je parlais justement!
Quels sont vos projets?
La Somalie, même si ça a été très difficile de partir car c’est un pays en guerre. Je voulais partir à Mogadiscio car j’avais appris qu’il y avait une archive qu’on avait réussi à sauver. Il y a un groupe phénoménal en Somalie qui s’appelle Dur Dur band, il y a cinq volumes, un américain a sorti un volume je sors les quatre autres. Je suis en train de refonder le groupe justement car après la guerre tout le monde est parti aux États-Unis, à Londres, à Somaliland ou en Éthiopie, j’essaie en ce moment de réunir des sous pour les ramener tous à Londres pour faire la promotion du disque.
Pour le Bénin, je sors le African Scream II en décembre. Je sors un disque brésilien en février, dans un style de musique du Nord du Brésil qui s’appelle le carimbo, influencé par la musique des caraïbes.
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