INTERVIEW - Présent cette année à la Foire internationale du livre de Tunis pour présenter son roman "Les Prépondérants", l'écrivain franco-tunisien Hédi Kaddour était parmi les favoris des prix littéraires de l'automne dernier. Malheureux aux Goncourt raflé par Mathias Enard avec son roman "Boussole", il a reçu le prix Jean-Freustié 2015 et est arrivé avec l'écrivain algérien Boualem Sansal, ex-aequo pour le prix du Roman de l'Académie Française.
Pour le HuffPost Tunisie, Hédi Kaddour est revenu sur son "roman-monde" "Les Prépondérants", sa vocation d'écrivain et le rapport qui le lie à son pays de naissance, la Tunisie.
HuffPost Tunisie: Comment vous est venue l'idée du roman "Les Prépondérants" ?
Hédi Kaddour: L'idée m'est venue en travaillant sur les archives de la presse américaine, sur des articles des années 20 racontant l'arrivée des cinéastes d'Hollywood dans des pays du protectorat français au Maghreb, pour filmer une partie de certains films "orientalisant" de l'époque. Les histoires étaient censées se dérouler au Moyen-Orient, mais pour eux, le Maghreb était plus près et il y avait autant de palmiers et d'indigènes. Pour les américains, ils n'y avait pas trop de différences.
Après mes deux romans "Waltenberg" (qui se passe en France et en Allemagne) et "Savoir-vivre" (Angleterre), j'avais éventuellement le projet de traverser la Méditerranée, mais jusque là je l'écartais car je n'avais que deux éléments: le colonisateur et le colonisé. S'il n'y avait que la volonté du colonisateur, il n'y aurait pas pu y avoir d'histoire. Mais à partir du moment où arrivaient les Américains, ça introduisait le trouble, j'avais le troisième regard. Je n'avais plus seulement le face à face entre le colonisateur et le colonisé mais le regard de biais. J'avais cette étrangeté, cet autre étranger... et les Maghrébins par exemple, pouvaient se mettre à faire des comparaisons entre le colonisateur qui se donnait pour le summum de l'Occident et des gens (les Américains) qui avaient des moyens matériels, des techniques plus avancées, des voitures plus rapides, des femmes plus libres. Ça semait le trouble dans une société très hiérarchisée et compassée. Je pouvais balancer mes personnages dans ce monde, j'allais avoir de la péripétie, j'allais avoir de l'aventure, j'allais avoir de la vie quotidienne perturbée... tout ce qui pouvait faire la matière première de ce roman.
Vous avez choisi un lieu imaginaire, Nahbès, pour raconter votre histoire. Pourquoi avez-vous fait ce choix?
Il se trouve que je suis métisse, ce qu'on appellerait à Paris un couscous pommes frites. Quelqu'un dont la mère est pied noir d'Algérie et dont le père est tunisien. Ma première expérience du Maghreb, c'est mon enfance, c'est les douze premières années de ma vie... un arabe dialectal qui vient des parties de foot, des jeux avec les copains, parfois des bagarres. Et puis je me retrouve en France à étudier là-bas.
En 1971, j'effectue mon service militaire de citoyen français et l'orientation des armées m'envoie au Maroc comme coopérant français où je suis devenu professeur de littérature. Nouvelle plongée dans la 'darija' (dialecte marocain) et je m'enfonce également dans l'arabe classique. Quand je me mets à écrire ce roman vers 2010, les choses se chevauchent dans ma tête. Il y a des expressions de dialectal tunisien, des images, des souvenirs d'enfance ou alors d'autres images de vie quotidienne au Maroc. Au bout d'un moment, je prends la décision de ne pas choisir que ça se passe au Maroc ou en Tunisie. Et puis j'invente une ville qui s'appelle Nahbès et c'est ce qui fait que le roman se passe au Maghreb mais que le pays n'est pas spécifié.
L'autre raison, c'est qu'en arrière plan, je voulais m'intéresser à la problématique des protectorats - notamment avec le Traité du Bardo et celui de Fès -, de sa perversion progressive. Dans mon roman, cela a cessé d'être un cas particulier avec la Tunisie ou le Maroc.
Certains critiques ont jugé que votre roman était inclassable. Dans quel genre le classeriez-vous?
Je dirais que c'est à la fois un roman d'aventures où des personnages lancés sur la route évoluent, mais c'est aussi un roman-monde, c'est ça qui m'intéressait. Un roman-monde, ce n'est pas le monde vu depuis ma fenêtre. C'est plutôt des mondes différents, des cultures et des langues différentes qui entrent en contact, en confrontation et avancent dans des effets de miroir et d'interpénétration. Je me suis retrouvé en tant qu'auteur à circuler d'un monde à l'autre. C'est ce qui était plaisant. J'ai une langue maternelle, le français. J'ai une langue réapprise dans la joie des retrouvailles qui est l'arabe. J'ai une langue de travail international qui est l'anglais et puis j'ai une langue de passion qui est l'allemand. Au fond, je suis plutôt cosmopolite.
Contrairement à des auteurs comme Michel Houellebecq ou Kamel Daoud, vous dites souvent que vous n'êtes pas "un éditorialiste du présent", vous refusez de commenter l'actualité. Pourquoi prenez-vous ce parti?
Ce n'est pas mon métier, la seule réponse que je pourrais donner quand on me pose ce genre de questions, ça serait des propos de bistrot. Je convie toujours les journalistes qui me posent cette question à aller interviewer Olivier Roy, Fethi Ben Slama, etc... à aller interviewer des gens qui depuis des dizaines d'années travaillent sur ces champs, qui vont avoir une vraie expertise, un propos circonstancié à tenir et pas des propos réactifs de gens qui sont plus ou moins en état d'ébriété dans leurs réponses. Ce n'est pas le métier de l'écrivain. Je ne tiens pas à éditorialiser, c'est la tentation des gens à qui on tend un micro. Moi mon travail en tant que romancier, c'est de produire des oeuvres avec un vrai travail sur le langage, et non pas à faire de la chronique politique, c'est un autre métier. Attaquer un ministre dans les colonnes d'un journal ne suffit pas à faire de vous un écrivain.
Vous êtes tunisien de naissance, pourtant vous avez confié que "la vie sépare". Vous vous sentez éloignez de votre pays d'origine?
Je me sens à la fois proche et distant, c'est la vie, parfois on plie bagage. Mais je suis très heureux d'être là, d'être accueilli comme je le suis, de découvrir des gens qui sont passionnants.
Pour le HuffPost Tunisie, Hédi Kaddour est revenu sur son "roman-monde" "Les Prépondérants", sa vocation d'écrivain et le rapport qui le lie à son pays de naissance, la Tunisie.
HuffPost Tunisie: Comment vous est venue l'idée du roman "Les Prépondérants" ?
Hédi Kaddour: L'idée m'est venue en travaillant sur les archives de la presse américaine, sur des articles des années 20 racontant l'arrivée des cinéastes d'Hollywood dans des pays du protectorat français au Maghreb, pour filmer une partie de certains films "orientalisant" de l'époque. Les histoires étaient censées se dérouler au Moyen-Orient, mais pour eux, le Maghreb était plus près et il y avait autant de palmiers et d'indigènes. Pour les américains, ils n'y avait pas trop de différences.
Après mes deux romans "Waltenberg" (qui se passe en France et en Allemagne) et "Savoir-vivre" (Angleterre), j'avais éventuellement le projet de traverser la Méditerranée, mais jusque là je l'écartais car je n'avais que deux éléments: le colonisateur et le colonisé. S'il n'y avait que la volonté du colonisateur, il n'y aurait pas pu y avoir d'histoire. Mais à partir du moment où arrivaient les Américains, ça introduisait le trouble, j'avais le troisième regard. Je n'avais plus seulement le face à face entre le colonisateur et le colonisé mais le regard de biais. J'avais cette étrangeté, cet autre étranger... et les Maghrébins par exemple, pouvaient se mettre à faire des comparaisons entre le colonisateur qui se donnait pour le summum de l'Occident et des gens (les Américains) qui avaient des moyens matériels, des techniques plus avancées, des voitures plus rapides, des femmes plus libres. Ça semait le trouble dans une société très hiérarchisée et compassée. Je pouvais balancer mes personnages dans ce monde, j'allais avoir de la péripétie, j'allais avoir de l'aventure, j'allais avoir de la vie quotidienne perturbée... tout ce qui pouvait faire la matière première de ce roman.
Vous avez choisi un lieu imaginaire, Nahbès, pour raconter votre histoire. Pourquoi avez-vous fait ce choix?
Il se trouve que je suis métisse, ce qu'on appellerait à Paris un couscous pommes frites. Quelqu'un dont la mère est pied noir d'Algérie et dont le père est tunisien. Ma première expérience du Maghreb, c'est mon enfance, c'est les douze premières années de ma vie... un arabe dialectal qui vient des parties de foot, des jeux avec les copains, parfois des bagarres. Et puis je me retrouve en France à étudier là-bas.
En 1971, j'effectue mon service militaire de citoyen français et l'orientation des armées m'envoie au Maroc comme coopérant français où je suis devenu professeur de littérature. Nouvelle plongée dans la 'darija' (dialecte marocain) et je m'enfonce également dans l'arabe classique. Quand je me mets à écrire ce roman vers 2010, les choses se chevauchent dans ma tête. Il y a des expressions de dialectal tunisien, des images, des souvenirs d'enfance ou alors d'autres images de vie quotidienne au Maroc. Au bout d'un moment, je prends la décision de ne pas choisir que ça se passe au Maroc ou en Tunisie. Et puis j'invente une ville qui s'appelle Nahbès et c'est ce qui fait que le roman se passe au Maghreb mais que le pays n'est pas spécifié.
L'autre raison, c'est qu'en arrière plan, je voulais m'intéresser à la problématique des protectorats - notamment avec le Traité du Bardo et celui de Fès -, de sa perversion progressive. Dans mon roman, cela a cessé d'être un cas particulier avec la Tunisie ou le Maroc.
Certains critiques ont jugé que votre roman était inclassable. Dans quel genre le classeriez-vous?
Je dirais que c'est à la fois un roman d'aventures où des personnages lancés sur la route évoluent, mais c'est aussi un roman-monde, c'est ça qui m'intéressait. Un roman-monde, ce n'est pas le monde vu depuis ma fenêtre. C'est plutôt des mondes différents, des cultures et des langues différentes qui entrent en contact, en confrontation et avancent dans des effets de miroir et d'interpénétration. Je me suis retrouvé en tant qu'auteur à circuler d'un monde à l'autre. C'est ce qui était plaisant. J'ai une langue maternelle, le français. J'ai une langue réapprise dans la joie des retrouvailles qui est l'arabe. J'ai une langue de travail international qui est l'anglais et puis j'ai une langue de passion qui est l'allemand. Au fond, je suis plutôt cosmopolite.
Contrairement à des auteurs comme Michel Houellebecq ou Kamel Daoud, vous dites souvent que vous n'êtes pas "un éditorialiste du présent", vous refusez de commenter l'actualité. Pourquoi prenez-vous ce parti?
Ce n'est pas mon métier, la seule réponse que je pourrais donner quand on me pose ce genre de questions, ça serait des propos de bistrot. Je convie toujours les journalistes qui me posent cette question à aller interviewer Olivier Roy, Fethi Ben Slama, etc... à aller interviewer des gens qui depuis des dizaines d'années travaillent sur ces champs, qui vont avoir une vraie expertise, un propos circonstancié à tenir et pas des propos réactifs de gens qui sont plus ou moins en état d'ébriété dans leurs réponses. Ce n'est pas le métier de l'écrivain. Je ne tiens pas à éditorialiser, c'est la tentation des gens à qui on tend un micro. Moi mon travail en tant que romancier, c'est de produire des oeuvres avec un vrai travail sur le langage, et non pas à faire de la chronique politique, c'est un autre métier. Attaquer un ministre dans les colonnes d'un journal ne suffit pas à faire de vous un écrivain.
Vous êtes tunisien de naissance, pourtant vous avez confié que "la vie sépare". Vous vous sentez éloignez de votre pays d'origine?
Je me sens à la fois proche et distant, c'est la vie, parfois on plie bagage. Mais je suis très heureux d'être là, d'être accueilli comme je le suis, de découvrir des gens qui sont passionnants.
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