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Stratégie victimaire et omerta communautaire, la logique génocidaire islamiste

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Bien sûr, les attentats en Europe, en Turquie et en Afrique sont liés aux combats de Daech en Mésopotamie. Mais ils ne sont pas des ripostes aux actions militaires occidentales menées contre l'islamisme en Afrique et au Moyen-Orient aujourd'hui pas plus qu'aux aventures militaires des années 90 en Afghanistan ou en Irak. Certes, les islamistes de Daech ont su récupérer le ressentiment des sunnites irakiens écartés du pouvoir par les chiites revanchards après la chute de Saddam Hussein, ceux de Al Nostra ont été initialement soutenus par Bachar El-Assad contre les revendications démocratiques des Syriens, ou les combattants de Ansar Dine se sont alliés à d'autres groupes touaregs indépendantistes, mais ces alliances sont à la fois conjoncturelles et stratégiques. Les islamistes jouent sur l'anti-occidentalisme à la fois pour coaliser et ré-islamiser des populations musulmanes bien au de-là des fondamentalistes militants.

Ne confondons pas les causes et les effets. Les erreurs tactiques et les mensonges passés des Occidentaux au Moyen-Orient ne sont pas à l'origine de l'offensive islamiste actuelle même s'ils sont utilisés, instrumentalisés par le djihadisme qui inverse toujours la charge de la preuve en présentant leur guerre sainte d'expansion comme une réaction, une réponse à l'action des "croisés" occidentaux. Car il existe bien une offensive islamiste en occident, en Europe et en France notamment. Cette offensive a été théorisée en 2005 par le troisième djihadisme comme l'appelle Gilles Kepel, à travers l'"Appel à la résistance islamiste mondiale" d'Abu Musab Al-Suri. Il s'agit d'un phénomène foncièrement religieux utilisant la lutte armée et non pas d'une entreprise révolutionnaire instrumentalisant la religion : c'est l'islam qui se remet en marche pour combattre et gagner le monde après une phase historique de replis face aux pouvoirs coloniaux puis aux premiers gouvernements nationalistes indépendants, avant d'investir ceux-ci et de s'allier à eux contre les éléments démocratiques endogènes.

Dans cette entreprise de conquête, la lutte idéologique est aussi importante que la terreur des actes. Les islamistes développent donc un discours prosélyte et de propagande de type victimaire : comme tous les génocidaires, ils présentent leurs cibles comme des agresseurs. Les Turcs massacrant les Arméniens pendant la guerre de 14-18, les présentaient comme des agents de l'ennemi après les avoir exclus de la communauté ottomane et soumis à une ségrégation rigoureuse, les nazis massacrant les Juifs d'Europe les présentaient comme les fauteurs de guerre et les corrupteurs de la race arienne après les avoir exclus de la nation allemande puis isolés dans les ghettos, les massacreurs hutus présentaient les Tutsis comme des dominateurs et des expropriateurs et les déshumanisaient en les qualifiant de cafards à exterminer, les Khmers rouges présentaient leurs victimes comme des destructeurs de la nation originelle, des exploiteurs occidentalisés et les déportaient en masse, en les traitant des punaises dont il fallait tuer jusqu'aux œufs (les enfants)...

Constituer une communauté à part au sein des sociétés européennes a alors deux objectifs conjoints : à la fois "diviser pour tuer", "des-identifier" (comme dit Abram de Swaan) les musulmans ou prétendus tels des Français, les faire "se désavouer" selon l'expression djihadiste (rappelée par Gille Kepel), et solidariser la "communauté musulmane" pour protéger les combattants djihadistes grâce à un travail "d'identification" avec eux. Il s'agit en effet d'une part, de "diviser pour tuer", de séparer les communautés, de rompre les liens d'empathie avec l'Autre et avec la notion d'Humanité globale, pour tuer ceux que l'on aura constitués comme le groupe des ennemis, des dominants, des mécréants, et d'autre part, solidariser la communauté des croyants, les victimes du racisme et de l'islamophobie, pour protéger les tueurs, les vengeurs, les défenseurs de l'islam et de l'"Oumma" (la "communauté" ou "nation des musulmans").

La dimension identitaire et l'appartenance communautaire qui en découle est centrale dans la stratégie islamiste. Il s'agit en effet de créer une solidarité entre les militants islamistes et la "communauté musulmane" qu'ils contribuent en grande part à constituer grâce notamment à l'usage du terme "islamophobie" : victime de la prétendue folie agressive des soit-disant anti-musulmans la communauté doit se souder et faire front commun contre l'ennemi. Car pour que le révolutionnaire soit efficace, disait le président Mao, il faut qu'il soit "au sein du peuple comme un poisson dans l'eau". Ainsi se diffusera la doctrine fondamentaliste en l'occurrence, et le militant islamiste sera protégé bien au-delà de son cercle restreint par des liens de solidarité communautaire qui consolideront l'omerta.

Cette appartenance à l'islam doit être reconnue par chacun sous peine d'être conspué, humilié, rejeté, voire molesté plus ou moins violemment et même exécuté (car les premières victimes de l'islamisme ont été des personnes d'ascendance musulmane à qui sont interdits le blasphème, l'apostasie, l'athéisme, la liberté de pensée et la liberté de mœurs, comme autant de crimes). L'amalgame tant dénoncé entre Arabes, Maghrébins, musulmans et islamistes est en fait conçu par les islamistes eux-mêmes pour souder et s'aliéner ces populations, certes partiellement discriminées, exclues et stigmatisées mais dont la situation de rejet objective est amplifiée pour y développer un fort sentiment de victimisation.

Attiser ce sentiment de persécution au sein des populations immigrées de la seconde voire de la troisième génération est en effet essentiel pour les islamistes afin de faire croître un sentiment antifrançais ou anti-occidental en général, parmi ces populations pour la plupart de nationalités française ou d'autres pays européens. Une autre appartenance leur sera proposée en substitution de cette France ou cette Europe qui prétendument les rejette : l'islam conquérant et vengeur. Il est en effet essentiel pour le totalitarisme islamiste de diviser les communautés nationales au profit de "la communauté des croyants". Tous ceux qui de près ou de loin ont à voir avec la religion musulmane ou avec une ascendance originaire de "terres d'islam", doivent être solidarisés avec la cause intégriste. On obtiendra ainsi dans les territoires perdus de la démocratie et de l'Etat de droit (en France comme en Belgique, aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne) à la fois l'omerta nécessaire à toute action criminelle pour se protéger de la répression, et un vivier d'exécuteurs potentiels pouvant aller jusqu'au massacre de masse et au sacrifice ultime de sa propre vie par conviction religieuse et solidarité fraternelle.

Renée Fregosi est philosophe et directrice de recherche en science politique à l'université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle. Dernier ouvrage paru : Les nouveaux autoritaires. Justiciers, censeurs et autocrates. Editions du Moment, Paris 2016

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