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De la situation des Amazighs de Tunisie

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La loi tunisienne interdit tout recensement basé sur l'ethnie, la langue, la religion, la couleur, en somme tout recensement "communautaire" d'où l'absence totale de chiffres et la difficulté de répondre à des questions du genre: "Quel pourcentage de la population représentez-vous?"
Et, si vous n'avez pas de chiffres à fournir "Qui nous dit que vous existez réellement au point de susciter de l'intérêt?".

Le pourcentage souvent avancé - 2 % de la population seraient berbérophones - ne repose sur rien. Faute de données précises résultant d'une enquête de terrain, et d'un recensement à partir d'éléments probants, tout chiffre que l'on serait amené à déclarer ne serait pas à l'abri d'erreur.

Le dernier recensement officiel des berbérophones en Tunisie remonte à 1923 et il donne un chiffre de 20.601 locuteurs (y compris les Marocains, Algériens et Libyens vivant en Tunisie à l'époque) pour une population totale d'environ 1.500.000 habitants.

Le dernier recensement de 2014 donne un chiffre de 30.371 habitants dans les zones berbérophones de Tunisie (Tamazret, Taoujout, Zraoua, Sedouikech, Guellala, Agim, Oued Zebib, Douiret, Chenini, Ras El Oued, Bir ThlathineJarjer).

Il est à noter que le plus grand nombre de berbérophones se trouve dans la région du Grand Tunis. La Tunisie compte 10.982.754 habitants selon le recensement de 2014.

Les parlers aujourd'hui vivants, pratiqués par un nombre important d'habitants au niveau d'un village, sont ceux de Chenini, de Douiret, de Zraoua, de Taoujout, de Tamazret, de Guellala, de Sedouikech et d'Ajim. Les habitants de Matmata, Ghomrassen, Toujane, Sened, Guermessa, Majoura, Ouesslat, etc., sont totalement arabisés.

La conscience identitaire amazighe même si elle demeure forte en Tunisie, n'est pas visible de l'extérieur. Elle n'a pas une dimension "nationale", et est éclatée en autant de villages que de parlers, d'où sa faiblesse. Les parlers s'altèrent presque d'une façon irrémédiable, d'où l'urgence de leur sauvegarde.

De plus les berbérophones ne sont pas légion dans chacun des villages, même si la situation diffère d'un village à l'autre. Il paraît clair que Taoujout, Zraoua, Chenini et Douiret comptent le plus grand nombre de locuteurs berbérophones même si cela nécessite d'être vérifié sur le terrain.

Le peu d'études consacrées aux Berbères en Tunisie relativise toute analyse et porte à surseoir à toute conclusion dans l'immédiat. Les études linguistiques des parlers berbères en Tunisie sont presque inexistantes.

Remédier à ce vide est un travail urgent à réaliser si l'on veut s'engager dans un processus de réappropriation de l'identité berbère.

Les causes de la diminution de berbérophones en Tunisie

Le régime politique qui prévalait depuis l'indépendance, se caractérisait par une absence totale de liberté d'organisation, par la répression systématique de toute opposition et par une idéologie dominante basée sur un nationalisme "tunisien" fondé sur le parti unique et célébrant le culte de la personnalité.

Toute revendication identitaire qui ne se conforme pas à la "pensée unique officielle" était strictement interdite et sujette à répression, perçue comme source de scission, facteur de division de la "nation tunisienne".

Le pouvoir postindépendance s'il ne prend pas officiellement position contre la culture berbère, s'arrangera, toutefois, pour la "détruire". Il n'a eu pour cela qu'à continuer, en l'accélérant, le processus qui avait été initié par le protectorat français.

Les atteintes à la mémoire

Les toponymes furent "arabisés" par décision officielle et les appellations standardisées, parfois à partir de la transcription française. L'Etat civil mis en place au début du XXe siècle par le protectorat et l'administration beylicale officialisera le processus d'arabisation en le renforçant.

Il est très difficile, voire même impossible, d'enregistrer des prénoms de nouveaux nés
d'origine amazigh. Seuls les noms ayant des "racines" dans la culture arabomusulmane sont acceptés.

Une politique de division

Le protectorat tout comme l'État national ne se priveront pas d'entretenir et d'attiser les rivalités, souvent anciennes, entre les villages, rivalités dues au fait que les gens vivaient en autarcie et étaient réticents vis-à-vis de tout ce vient d'ailleurs.

Les problèmes fonciers, souvent source de conflits, non résolus sous le protectorat et sous le pouvoir beylical, ne le sont toujours pas 60 ans après l'indépendance.

À chaque fois qu'il y est fait allusion, le pouvoir, qu'il soit colonial ou postcolonial, beylical ou républicain, y a répondu par la répression.

Le déracinement

L'autre "grande action du pouvoir", au tout début de l'indépendance, fut le déplacement des villages un peu partout en Tunisie et essentiellement dans les montagnes de Matmata et de Tataouine.

Il s'agit là de "déplacements vers des lieux plus accessibles". Ainsi Toujane, Matmata, Guermassa, Douiret, Tamazret, Zraoua, etc., furent doublés de villages "modernes" situés à l'extérieur de la montagne, parfois à plusieurs kilomètres du village d'origine.

La conséquence est qu'aujourd'hui Zraoua et Douiret sont des villages fantômes vidés de leurs habitants. Si les habitants de Matmata, de Tamazret refusèrent de quitter leurs villages d'origine, ceux de Toujane y reviennent, timidement, après l'avoir quitté. Seul Chenini a échappé à cette opération de "modernisation à la Bourguiba".

Les villages qui résistèrent furent "punis". Ils seront mis à l'écart de tout développement et privés d'infrastructures nécessaires durant des décennies.

Il faudra attendre plus de 30 ans après l'indépendance pour que Douiret, Chenini, Ras El Oued, Tamazret et Taoujout obtiennent une route convenable, et une autre décennie pour qu'ils soient alimentés en eau potable et en électricité. Matmata et Chenini villages troglodytes, furent "sauvés" grâce au tourisme saharien.

Le dénigrement

L'autre action néfaste du régime, et ce dès les premières années de l'indépendance, fut le dénigrement systématique de tout ce qui est "traditionnel", la Tunisie se devant d'être "moderne".

Ainsi, des campagnes furent menées contre l'habit traditionnel, contre certains comportements, attitudes et "façons d'être" dénoncés dans le discours, par des campagnes de rue et par les médias, comme étant rétrogrades, indignes de la Tunisie bourguibienne.

Les "jbaliyas" (montagnards), les villageois et les paysans, étaient dépeints comme des "ploucs", des gens grossiers et ignorants, qui débarquaient en ville totalement dépourvus de savoir-vivre.

Ces campagnes qui portent la griffe des premières années de l'indépendance, si elles n'étaient pas
spécialement dirigées contre les Berbères, n'ont pas manqué d'avoir des répercussions sur leur mode de vie.

L'exode

La situation économique et sociale des régions défavorisées va entraîner un exode rural massif vers les villes, et prioritairement vers Tunis, et ce dès les années trente.

Ce sont les régions du sud tunisien qui connurent, les premières, un départ massif de leurs habitants. Cela commença par le chef de famille; suivirent les garçons en âge de travailler.

À partir des années cinquante et avec l'école, la famille se regroupe et "rompt" petit à petit avec le
village. En ville, les regroupements sont rares, et lorsqu'ils ont existé, ils furent provisoires.

Au fil du temps, la famille s'installe en fonction du logement acquis, de ses capacités en matière de montant de loyer, du lieu de travail, etc.

Les liens avec la famille au sens large et avec les gens originaires du village deviennent occasionnels.

L'école publique

L'indépendance généralisera l'école fondée sur un enseignement bilingue, arabe et français. Elle dotera le pays d'une administration, améliorera les infrastructures et moyens de transport, favorisant le déplacement des personnes, donnant ainsi lieu à un brassage de la population tunisienne appelée à vivre dans un milieu autre que le sien d'origine, propice à la multiplication des mariages "mixtes".

L'environnement d'origine se modifie progressivement jusqu'à être, chez les individus, relégué aux confins du souvenir. Pour bien des générations successives, il relève de l'imaginaire.

Toutes ces réalités du quotidien, qu'elles découlent des orientations politiques ou qu'elles soient liées aux besoins de la subsistance, ont conduit, inévitablement, au recul de la langue amazighe puis à son oubli et à la disparition de traditions, de coutumes afférentes au mode de vie amazigh.

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