L'école constitue sans conteste l'un des piliers sur lesquels repose la République. Outre son rôle dans l'acquisition des connaissances et son activation de l'ascenseur social, elle est le premier champ d'application des valeurs fondamentales de la République que sont l'égalité des chances et de traitement.
C'est du moins ainsi qu'elle a été conçue par son initiateur Jules Ferry sous la troisième république. Elle se devait de ce fait être universelle et gratuite et par ricochet incarner l'esprit de la loi 1905 sur la laïcité.
L'école tunisienne, à l'aube de l'indépendance, a été édifiée sur ce modèle. Une école obligatoire, accessible à tous, mixte et gratuite, où les élèves dissimulent sous leurs tabliers uniformes les signes distinctifs d'appartenance sociale. L'école de l'État providence qui assurait le goûter et offrait les manuels scolaires. Une image qui nourrit encore la nostalgie de ceux qui l'ont connue.
La démarche de l'actuel ministre de l'Éducation semble s'inscrire dans la ressuscitation de ce modèle. Or, ce modèle qui s'associe dans l'imaginaire populaire à l'ascenseur social, a perdu le socle sur lequel il reposait. Avec le désengagement progressif mais résolu de l'État du social et particulièrement de l'Éducation nationale, ce secteur souffre d'un déficit de moyens.
L'État en manque de ressources du fait des orientations économiques adoptées, s'est trouvé contraint d'encourager le développement de l'enseignement privé. Il ne s'agit nullement d'un choix stratégique mais plutôt d'une contrainte liée à l'amenuisement des revenus de l'État.
De ce pas, le système éducatif national a créé les conditions propices à un clivage social. Entre un enseignement privé qui devient un créneau juteux et mobilise des investissements grandissants et des résultats attrayants et un secteur public qui peine à assurer une infrastructure décente et un service d'égale qualité entre les régions, la cause est entendue.
Cette expérience qui s'est intensifiée avec la libéralisation économique suite aux accords conclus par la Tunisie tant avec l'Union Européenne qu'avec l'Organisation Mondiale du Commerce, nous offre aujourd'hui suffisamment de recul pour constater ses résultats.
L'indicateur le plus expressif est, à mon point de vue, le nombre d'étudiants venus des régions qui rejoignent chaque année les facultés de médecine. Puisqu'il s'agit d'une orientation prisée et qui nécessite les meilleurs scores. Par conséquent, il offre une idée sur non seulement le degré de réussite mais surtout sur sa qualité. Or, il s'avère que les régions défavorisées participent de façon anecdotique aux cohortes d'étudiants qui font médecine. Certaines sur des années successives n'en ont fourni aucun. Le gros de leurs lauréats est allé rejoindre des branches au faible potentiel d'employabilité.
Ce qui nous amène à dire que dans la Tunisie d'aujourd'hui le fils du pauvre ne pourra qu'être pauvre à son tour.
C'en est fini de l'école facteur d'ascension sociale. Entre ceux qui reçoivent les meilleurs bases possibles et qui bénéficient des cours particuliers dans toutes les disciplines et ceux qui n'ont que leurs manuels officiels et la conscience de leurs enseignants, la Tunisie se trouve divisée dans une école supposée être le point de départ de l'égalité des chances.
Est-il permis, devant ce constat, de continuer de parler de l'école de la République, pire encore de parler de République même?
Le modèle sur lequel s'était fondée notre Éducation nationale n'est peut-être pas le plus performant et certains experts lui préfèrent ceux des pays anglo-saxons ou scandinaves, mais sa pertinence ne semble pas remise en cause du fait de ses résultats antérieurs qui sont là pour en témoigner. Néanmoins, ces résultats n'ont été possibles que parce que les orientations générales du pays étaient en cohérence avec ce modèle. L'école a constitué alors une soupape d'espoir pour la jeunesse et un facteur de cohésion nationale. Elle a permis d'absorber le ressentiment dans un pays, il faut le reconnaître, où les disparités étaient moins ostentatoires.
Depuis, sans réaliser tout à fait que nous avons avalisé les conditions d'une mutation sociale, nous avons par négligence et par paresse intellectuelle continué à attendre de l'école publique un rôle qu'elle n'était plus en mesure d'accomplir. C'est pourquoi, nous sommes intimement convaincus que le ministre de l'Éducation nationale actuel fait fausse route quand il prône son attachement au modèle fondateur de l'enseignement. Non pas que nous ayons des doutes sur sa pertinence mais parce que les conditions de sa résurrection et de sa viabilité ne sont pas réunies. L'école ne peut-être conçue et imaginée en marge d'un contexte économique qui modèle à son tour le cadre social.
La réhabilitation de l'école publique dans sa version originale nécessite des moyens que les choix libéraux outranciers dans lesquels nous nous engluons ne permettent pas. Bien au contraire, nous sommes priés par nos mentors de désengager l'État et d'encourager l'enseignement privé. Le ministère de l'Enseignement ne peut pas évoluer avec des référentiels en franche opposition avec les choix du gouvernement. D'ailleurs, entre les paroles et les actes, il y a un hiatus que les postures populistes ne peuvent combler.
Les directives adressées aux directeurs d'école à la veille de cette année ont été de fusionner les classes pour aboutir à des effectifs dépassant la quarantaine avec parfois trois élèves partageant le même banc. Ceci est le fruit du choix de comprimer les dépenses publiques et de surseoir au recrutement du personnel enseignant qu'il soit titulaire ou contractuel.
Entre temps, l'école se discrédite d'année en année et peine à accomplir les fonctions qui lui étaient dévolues.
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C'est du moins ainsi qu'elle a été conçue par son initiateur Jules Ferry sous la troisième république. Elle se devait de ce fait être universelle et gratuite et par ricochet incarner l'esprit de la loi 1905 sur la laïcité.
L'école tunisienne, à l'aube de l'indépendance, a été édifiée sur ce modèle. Une école obligatoire, accessible à tous, mixte et gratuite, où les élèves dissimulent sous leurs tabliers uniformes les signes distinctifs d'appartenance sociale. L'école de l'État providence qui assurait le goûter et offrait les manuels scolaires. Une image qui nourrit encore la nostalgie de ceux qui l'ont connue.
La démarche de l'actuel ministre de l'Éducation semble s'inscrire dans la ressuscitation de ce modèle. Or, ce modèle qui s'associe dans l'imaginaire populaire à l'ascenseur social, a perdu le socle sur lequel il reposait. Avec le désengagement progressif mais résolu de l'État du social et particulièrement de l'Éducation nationale, ce secteur souffre d'un déficit de moyens.
L'État en manque de ressources du fait des orientations économiques adoptées, s'est trouvé contraint d'encourager le développement de l'enseignement privé. Il ne s'agit nullement d'un choix stratégique mais plutôt d'une contrainte liée à l'amenuisement des revenus de l'État.
De ce pas, le système éducatif national a créé les conditions propices à un clivage social. Entre un enseignement privé qui devient un créneau juteux et mobilise des investissements grandissants et des résultats attrayants et un secteur public qui peine à assurer une infrastructure décente et un service d'égale qualité entre les régions, la cause est entendue.
Cette expérience qui s'est intensifiée avec la libéralisation économique suite aux accords conclus par la Tunisie tant avec l'Union Européenne qu'avec l'Organisation Mondiale du Commerce, nous offre aujourd'hui suffisamment de recul pour constater ses résultats.
L'indicateur le plus expressif est, à mon point de vue, le nombre d'étudiants venus des régions qui rejoignent chaque année les facultés de médecine. Puisqu'il s'agit d'une orientation prisée et qui nécessite les meilleurs scores. Par conséquent, il offre une idée sur non seulement le degré de réussite mais surtout sur sa qualité. Or, il s'avère que les régions défavorisées participent de façon anecdotique aux cohortes d'étudiants qui font médecine. Certaines sur des années successives n'en ont fourni aucun. Le gros de leurs lauréats est allé rejoindre des branches au faible potentiel d'employabilité.
Ce qui nous amène à dire que dans la Tunisie d'aujourd'hui le fils du pauvre ne pourra qu'être pauvre à son tour.
C'en est fini de l'école facteur d'ascension sociale. Entre ceux qui reçoivent les meilleurs bases possibles et qui bénéficient des cours particuliers dans toutes les disciplines et ceux qui n'ont que leurs manuels officiels et la conscience de leurs enseignants, la Tunisie se trouve divisée dans une école supposée être le point de départ de l'égalité des chances.
Est-il permis, devant ce constat, de continuer de parler de l'école de la République, pire encore de parler de République même?
Le modèle sur lequel s'était fondée notre Éducation nationale n'est peut-être pas le plus performant et certains experts lui préfèrent ceux des pays anglo-saxons ou scandinaves, mais sa pertinence ne semble pas remise en cause du fait de ses résultats antérieurs qui sont là pour en témoigner. Néanmoins, ces résultats n'ont été possibles que parce que les orientations générales du pays étaient en cohérence avec ce modèle. L'école a constitué alors une soupape d'espoir pour la jeunesse et un facteur de cohésion nationale. Elle a permis d'absorber le ressentiment dans un pays, il faut le reconnaître, où les disparités étaient moins ostentatoires.
Depuis, sans réaliser tout à fait que nous avons avalisé les conditions d'une mutation sociale, nous avons par négligence et par paresse intellectuelle continué à attendre de l'école publique un rôle qu'elle n'était plus en mesure d'accomplir. C'est pourquoi, nous sommes intimement convaincus que le ministre de l'Éducation nationale actuel fait fausse route quand il prône son attachement au modèle fondateur de l'enseignement. Non pas que nous ayons des doutes sur sa pertinence mais parce que les conditions de sa résurrection et de sa viabilité ne sont pas réunies. L'école ne peut-être conçue et imaginée en marge d'un contexte économique qui modèle à son tour le cadre social.
La réhabilitation de l'école publique dans sa version originale nécessite des moyens que les choix libéraux outranciers dans lesquels nous nous engluons ne permettent pas. Bien au contraire, nous sommes priés par nos mentors de désengager l'État et d'encourager l'enseignement privé. Le ministère de l'Enseignement ne peut pas évoluer avec des référentiels en franche opposition avec les choix du gouvernement. D'ailleurs, entre les paroles et les actes, il y a un hiatus que les postures populistes ne peuvent combler.
Les directives adressées aux directeurs d'école à la veille de cette année ont été de fusionner les classes pour aboutir à des effectifs dépassant la quarantaine avec parfois trois élèves partageant le même banc. Ceci est le fruit du choix de comprimer les dépenses publiques et de surseoir au recrutement du personnel enseignant qu'il soit titulaire ou contractuel.
Entre temps, l'école se discrédite d'année en année et peine à accomplir les fonctions qui lui étaient dévolues.
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