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Le journal électronique Inkyfada poursuivi pour diffamation par Mohsen Marzouk: Les enjeux de la plainte

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INKYFADA - Jusqu'à présent, de tous les pays au monde concernés par les révélations dans le cadre des "Panama papers", c'est seulement en Tunisie que l'un des 109 médias associés à cette investigation coordonnée par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) est poursuivi en justice par l'une des personnes mises en cause par ces publications.

Mohsen Marzouk a, en effet, annoncé mercredi 6 avril avoir porté plainte pour diffamation après qu'Inkyfada a publié lundi soir un article lui attribuant des démarches actives en vue de constituer une société offshore, auprès du cabinet d'avocats panaméen "Mossack Fonseca" en décembre 2014.

Il a assuré également qu'il va porter plainte pour diffamation à l'encontre de Walid Mejri, rédacteur en chef de l'édition arabophone d'Inkyfada, pour l'un de ses statuts Facebook.

Lire aussi: Les révélations Panama leaks atteignent la Tunisie


Quels sont les termes de la bataille juridique qui s'engage? Pour le savoir, le HuffPost Tunisie a contacté Mohsen Marzouk, son avocat Hechmi Mahjoub, et Monia Ben Hamadi, rédactrice en chef d'Inkyfada.

Inkyfada est-il un média?



La ligne de Mohsen Marzouk consiste notamment à remettre en cause la qualité de journalistes des membres de la rédaction d'Inkyfada. Le leader du parti Mouvement du projet de la Tunisie nous a indiqué: "Je ne considère pas que ce sont [Inkyfada, ndlr] des journalistes", en avançant qu'ils "n'ont pas d'autorisation officielle pour être un média".

Son avocat Hechmi Mahjoub, renchérit: "Pour moi, être journaliste c'est avoir une carte de presse, avoir une certaine autorité... les journalistes sont relativement connus généralement, tandis qu'Inkyfada, personne ne les connait..."

L'enjeu autour de la qualité journalistique va au-delà du seul symbole: toute la question est de savoir si la plainte s'appuie sur le Code pénal et le Code de la communication, dont l'article 86 permet de prononcer de lourdes peines en cas de diffamation, ou sur le décret-loi 115 de novembre 2011, prévu pour permettre un cadre plus propice à la liberté d'expression au lendemain de la révolution.


Concurrence entre deux régimes juridiques de la diffamation

Avec ce décret, "la procédure est délicate et difficile, il n'est pas évident qu'elle aboutisse", indique d'ailleurs Me Mahjoub.

De fait, depuis plusieurs années, l'utilisation du Code pénal dans des affaires de diffamation présumée fait polémique. L'ONG Human Rights Watch dénonçait en septembre 2013 le fait que "les autorités judiciaires fassent encore recours aux mêmes articles dans le code pénal comme outil de répression contre la liberté d'expression [...] qui criminalisent la critique des personnalités publiques".

La Haute autorité indépendante pour la communication audiovisuelle (HAICA) avait alors demandé que soient appliquées "les lois qui régulent la profession et surtout les décrets-lois 115 et 116, qui sont un acquis pour le processus démocratique, et non pas la loi pénale".

Or c'est donc sur la base de cette loi pénale, et non sur celle du décret-loi 115, que Mohsen Marzouk a décidé de poursuivre Inkyfada, en invoquant le fait qu'il ne s'agirait pas d'un média. Sa rédactrice en chef, Monia Ben Hamadi, conteste l'argumentation de Mohsen Marzouk et de son avocat: " Aucun comité ou commission n'a la charge de décider qui est journaliste ou ne l'est pas", ajoutant que "ce n'est pas non plus à monsieur Marzouk de décider si nous sommes bien des journalistes".

Indiquant par ailleurs être détentrice d'une carte de presse, Monia Ben Hamadi précise également que "le décret-loi 115 ne concerne pas que les seuls journalistes".

De fait, le texte prévoit qu'il peut s'appliquer à quiconque s'exprime "par voie de discours, paroles ou menaces dans les lieux publics, soit au moyen d’imprimés, photos, sculptures, signes ou toute autre forme écrite ou photographique exposée à la vente ou à la vue publique dans les lieux publics ou les réunions publiques, soit au moyen d’affiches et d’annonces exposées à la vue publique ou par tout autre moyen d’information audiovisuelle ou électronique".

Qu'est-ce que diffamer?

"Je n'ai jamais poursuivi un journaliste et pourtant j'ai été insulté à maintes reprises. Mais là une ligne rouge a été franchie, mon honneur est atteint", nous a déclaré Mohsen Marzouk. C'est précisément ce que désigne la diffamation: une atteinte à l'honneur faisant référence à des faits présentés comme réels (à la différence de l'injure). Le décret-loi 115 la définit en ces termes:

Est considérée diffamation toute accusation ou imputation de quelque chose d’inexacte d’une manière publique, et qui est de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne en particulier, à condition qu’il s’en suit un préjudice personnel et direct à la personne visée.


A noter que l'article 86 du code de la communication, adopté en 2001, est lui beaucoup plus vague:

Est puni d'un emprisonnement de un an à deux ans et d'une amende de cent à mille dinars quiconque sciemment nuit aux tiers ou perturbe leur quiétude à travers les réseaux publics des télécommunications.



Lire aussi: Quand les injures polluent le débat politique tunisien


Que disent les documents d'Inkyfada?



Les documents sur lesquels ont travaillé les journalistes associés au Consortium international des journalistes d'investigation ne sont pas accessibles au public, pour "des raisons de responsabilité et de respect de la vie privée", explique notamment Le Monde.

Mohsen Marzouk nie les faits qui lui sont imputés dans l'article d'Inkyfada, qu'il accuse donc d'avoir affabulé en raison d'un agenda politique: "Sinon pourquoi avoir souligné que j'aurais envoyé ces emails pendant les deux tours de l'élection présidentielle, si ce n'est pour atteindre également le président de la République?", interroge-t-il, se disant victime d'un "lynchage de la classe politique" dont a "également fait les frais Hama Hammami", leader du Front populaire, lors de la polémique autour de l'achat de la voiture de sa fille en février dernier.

Le Consortium international des journalistes d'investigation invoqué par les deux parties

Mohsen Marzouk a également indiqué avoir obtenu confirmation auprès de deux sources au sein de l'ICIJ de l'absence de toute mention de son nom dans les documents des Panama leaks. Il a toutefois refusé de communiquer les coordonnées ou les noms de ces personnes au HuffPost Tunisie, qui n'a donc pas pu vérifier cette information.

Mais Monia Ben Hamadi balaie cette possibilité: "Tous les articles publiés dans le cadre des Panama leaks sont validés par l'ICIJ: si Mohsen Marzouk n'avait pas figuré dans ces documents, ils nous auraient empêché de publier", assure-t-elle.

Inkyfada a-t-il contacté Mohsen Marzouk?




Inkyfada assure avoir tenté de contacter Mohsen Marzouk avant la publication de l'article, mais lui le nie catégoriquement. De son côté, Monia Ben Hamadi est formelle:
On l'a contacté par différents moyens: email, téléphone, réseaux sociaux... il n'a jamais répondu.


Mohsen Marzouk est tout aussi affirmatif pour assurer le contraire:
Ils ont menti en disant m'avoir contacté


A noter également que Monia Ben Hamadi dit ne pas avoir reçu de convocation pour le moment. De son côté, Mohsen Marzouk réunit un "collectif d'avocats comprenant de 10 à 15 personnes", indique Me Mahjoub.


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