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Un regard sur la vie partisane en Tunisie postrévolutionnaire

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Cette réflexion repose sur une contradiction fondamentale: il est impossible aujourd'hui de décrire sérieusement les mécanismes comparés des partis politiques en Tunisie postrévolutionnaire; mais il est indispensable de la faire.

On est enfermé dans un cercle vicieux: seules des monographies préalables,nombreuses et approfondies, permettront de construire un jour une théorie générale des partis tunisiens; mais ces monographies ne pourront pas, devant le manque de documentation sérieuse, être réellement approfondies tant qu'il n'existera point une vraie classification basée sur les programmes, et non sur les idéologies de ces partis. Car la nature répond seulement quand on l'interroge, et l'on ne sait pas ici quelles questions lui poser.

Tout l'effort de cette réflexion tend à rompre avec ce cercle et à esquisser une première théorie générale des partis tunisiens, nécessairement vague, conjecturale, approximative, qui puisse servir de base et de guide à des analyses en profondeur. Elle définit d'abord des méthodes concrètes de recherche: certaines ne présentent d'ailleurs aucune originalité, d'autres sont plus neuves et qui essaieront donc d'introduire une objectivité dans un domaine où la subjectivité, la passion et la mauvaise foi règnent généralement.

A) Pour un effort de classification méthodique:

La plupart des études relatives aux partis politiques en Tunisie postrévolutionnaire s'attachent surtout à l'analyse de leurs doctrines.

Cette orientation découle de la notion libérale du parti qui le considère avant tout comme un groupement idéologique. "Un parti est une réunion d'hommes qui professent la même doctrine politique", écrivait Benjamin Constant au début du 19ème siècle.

Cette conception a donné le jour à des œuvres intéressantes et nombreuses, qui relèvent de l'histoire des idées politiques plutôt que de l'analyse socio-historique.

Dans le cadre d'une étude comparative des partis, on se bornera presque uniquement à décrire l'influence des doctrines sur les structures, qui sont d'ailleurs beaucoup moins importantes qu'on pourrait le croire. David Hume notait finement dans son "Essays on Parties" que le programme joue un rôle essentiel dans la phase initiale, où il sert à coaliser des individus épars, mais que l'organisation passe ensuite au premier plan, la "plate-forme" devenant accessoire: on ne saurait mieux dire. La remarque ne vaut point toutefois pour certains partis politiques, où la doctrine a pris un caractère religieux, qui leur donne une emprise totalitaire sur la vie des adhérents.

D'autres études qui s'intéressent aux partis politiques tunisiens sont de conception communiste du "parti-classe". Ces analyses ont utilisé souvent l'opposition marxiste élémentaire entre la bourgeoisie et la classe ouvrière pour expliquer les racines idéologiques des partis existants sur la scène politique tunisienne postrévolutionnaire.

Certes, ce dualisme demeure très approximatif, et les sociologues marxistes le savent aussi bien que leurs adversaires. La stratification sociale est beaucoup plus nuancée que ne le suggère ce manichéisme grossier. Malgré tout, ce schéma conserve une part de vérité: bourgeoisie et prolétariat ne constituent peut-être pas deux classes, définies en termes économiques rigoureux, mais elles caractérisent deux mentalités, deux attitudes sociales, deux genres de vie, dont la distinction éclaire certains problèmes concernant la structure des partis.

B) Pour mieux comprendre les structures existantes des partis tunisiens:

La structure des partis tunisiens se caractérise par son hétérogénéité. Sous le même nom, on désigne trois ou quatre types sociologiques différents par leurs éléments de bases, par leur armature générale, par les liens d'appartenance qui s'y nouent, par les institutions dirigeantes.

Le premier correspond à peu près aux partis "bourgeois" qui survivent toujours sous la forme de partis libéraux. Ils reposent sur des comités peu étendus, assez indépendants les uns des autres qui cherchent à multiplier l'adhésion des "grandes personnalités".

Leurs activités sont orientées entièrement vers les élections et les combinaisons parlementaires, et conservent de ce fait un caractère "semi-saisonnier"; leur armature administrative est embryonnaire; leur direction demeure largement entre les mains des députés, et présente une forme individuelle très marquée: le pouvoir réel y appartient à telle ou telle coterie groupée autour d'un leader, et la vie du parti réside dans la rivalité de ces petits groupes. Le parti ne s'occupe que des problèmes politiques; la doctrine et les problèmes idéologiques n'y jouent qu'un faible rôle, l'adhésion y est plutôt basée sur l'intérêt ou l'habitude.

Les partis socialistes, ou les partis du centre-gauche, ont une structure différente, qui repose sur l'encadrement de masses populaires aussi nombreuses que possible. On y trouve donc un système d'affiliation précis, complété par un mécanisme de cotisations individuelles très rigoureux, sur lequel s'appuie essentiellement les finances du parti, qui sont plutôt basées sur les dons et les subventions de quelques bailleurs de fond. Les comités font place à des "sections" où l'éducation politique des membres prend une grande place à côté de l'activité purement électorale. Le nombre d'adhérents et la perception des cotisations obligent à établir une administration importante; on trouve donc à l'intérieur du parti des quasi-fonctionnaires plus au moins nombreux qui tendent naturellement à former une "classe" et prendre une certaine autorité: des germes de bureaucratie se développent. Le caractère personnel des dirigeants s'atténue, un système d'institutions complexes s'établit (Congrès, Comités nationaux, Bureaux, Secrétariats...etc.).

En principe, l'élection règne à tous les échelons; en pratique, des tendances oligarchiques puissantes se manifestent. La doctrine joue un rôle important à l'intérieur des structures: au lieu de coteries personnelles, les rivalités de leadership y prennent l'aspect d'une lutte de tendances. Le parti déborde d'ailleurs le domaine purement politique pour empiéter sur le terrain économique et social.

Les partis communistes, ou les partis de l'extrême gauche, ont créé un type sociologique encore plus centralisé, qui s'oppose à la demi-décentralisation des partis socialistes, un système de liaisons verticales établissant un cloisonnement entre les éléments de base, qui protègent contre toute tentative de "schisme" et de division, et assure une discipline très stricte; une direction reposant sur des méthodes post-soviétiques, où l'influence des parlementaires est pratiquement nulle, sauf dans des cas exceptionnels.

Plusieurs types de partis restent en dehors de ce schéma général. Les partis de tendance social-libéral, d'abord, qui occupent une place à peu près intermédiaire entre les partis conservateurs de droite et les partis socialistes. Les partis travaillistes ensuite, constitués sur la base des syndicats, suivant un mode de structure indirect qui nécessitera des analyses spéciales. Enfin, les partis archaïques et préhistoriques, qu'on rencontre sur la scène politique postrévolutionnaire.

C) Pour mieux comprendre la nouvelle classe politique:

En considérant le multipartisme établi après un demi-siècle de "parti-État", on peut distinguer plusieurs variétés de coalitions partisanes, suivant le nombre des alliés: un tripartisme (troïka) entre 2011 et 2014 puis un quadripartisme depuis les élections d'octobre 2014.

Néanmoins, cette typologie reste très fragile devant la réalité du terrain. En effet, la nouvelle classe dirigeante postrévolutionnaire est organisée, à la différence de l'ancienne où l'individualisme régnait; elle forme elle-même une communauté au sein de la communauté populaire à qui elle sert de guide politique. La nouvelle élite est ainsi choisie et préparée par le parti pour remplir -grâce à lui- son rôle de direction.

Les principaux chefs administratifs et économiques sont aussi pris dans les partis qui ne cessent jamais de contrôler tous les organes de l'État pour s'assurer de sa fidélité. Les représentants des partis siègent donc partout, depuis les conseils ministériels jusqu'aux plus petits comités locaux.

Néanmoins, il est fréquent de rencontrer des personnes qui se considèrent comme militants d'un parti politique mais qui ont une vague connaissance, ou qui ignorent, de l'idéologie et des éléments identitaires de ce parti. Cette réalité tunisienne est non seulement un frein à la cohésion interne des partis mais aussi un obstacle à l'objectif de mobilisation des masses autour des positions de ces partis dans la société puisque la fondation de tout parti politique et donc sa force et l'efficacité de son appareil se construisent à partir de la clarté et de la diffusion de son idéologie, de sa vision, de ses principes et valeurs auprès de ses membres, de ses sympathisant/es et de la population en général.

Après cinq ans de processus de démocratisation des mentalités et de la société, il est vrai que la formation de la volonté politique est un processus complexe. Les médias, les organisations sociales, les groupements d'intérêts, les initiatives citoyennes et, de plus en plus, les formes modernes de communication à travers Internet, Facebook, Twitter et autres communautés virtuelles, exercent une influence considérable sur l'image de la nouvelle classe politique postrévolutionnaire qui essaye à travers la "marchandise" des programmes de remplir deux fonctions principales: d'un côté, exprimer plus ou moins les intérêts de la population, ou d'une partie de la population et de l'autre, de contribuer à la formation de la volonté des citoyens, faisant des partis les "formateurs" de la volonté du peuple ou d'une partie du peuple.

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