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La révolution du plaisir, une enquête sur la sexualité dans le monde arabe

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Un Orient longtemps synonyme de plaisir

L'Orient aujourd'hui largement critiqué pour son intolérance sexuelle a longtemps été fameux pour sa liberté sexuelle face à un Occident puritain et corseté.

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En 1975, l'écrivain tunisien Abdelwahab Bouhdiba explique ainsi dans Sexualité dans l'Islam combien le sexe est compatible avec les éléments essentiels de la foi musulmane mais que les arabes ont perdu sa dimension spirituelle. Il mentionne ainsi tous les passages du Coran où le prophète encourage les plaisirs sexuels entre mari et femme.

Il rappelle combien l'empire abbasside était un lieu de débat religieux animé et d'interprétation indépendante, une époque de zénith culturel pour une civilisation arabe confiante et créative qui pensait et parlait de sexe ouvertement.

L'Encyclopaedia of pleasure, de Ali ibn Nasr al Katib couvrait ainsi toutes les pratiques sexuelles et parlait largement de l'orgasme féminin.

Le monde arabe en crise d'estime de soi

Mais selon Bouhdiba, les sociétés musulmanes n'ont cessé d'évoluer négativement depuis l'expédition de Bonaparte. Comme en 2003 en Iraq, Napoléon est alors arrivé en Egypte pour « libérer » un peuple oppressé par la dictature militaire cruelle des mamelouks. Les mamelouks étaient alors confiants car ils avaient écrasé les francs lors des croisades. Mais l'expédition de Bonaparte écrase les mamelouks et remet ainsi largement en question la confiance arabe.

Depuis, ces derniers ont continuellement perdu du terrain face à l'Occident avec les vagues continues d'expansion coloniale européenne, l'invasion française de l'Algérie en 1830 et l'occupation britannique de l'Egypte en 1882.

En réponse à cette occupation coloniale, Hassan el Banna créée en 1920 l'organisation des Frères musulmans en Egypte. Un de leurs membres les plus actifs, Qutb, voit les Etats-Unis comme une civilisation primitive et sauvage sans fondement moral et obsédée par l'appât du gain en un orientalisme renversé.

L'islam devient alors une forme de protestation et d'engagement citoyen.

A l'époque, les demandes des Frères musulmans de voiler les femmes faisaient rire Nasser et la plupart de la classe politique comme le montre cette vidéo.

Mais en un demi-siècle, après l'effondrement du nassérisme et du nationalisme arabe avec la défaite retentissante de la guerre des 6 jours en 1967, les sociétés musulmanes se sont mises sur la défensive, en se repliant sur elles-mêmes et ont développé un complexe d'infériorité face à l'envahisseur.

Selon Olfa Youssef, professeur de linguistique et psychanalyste à Tunis, les musulmans ont d'abord été colonisés par le point de vue chrétien puis par les wahhabites. Pour avoir le pouvoir, il faut dominer le peuple. Et quel meilleur moyen que d'utiliser ce qui est le plus universel et accessible? A savoir la sexualité. La contrôler pour bloquer tout désir dans l'individu d'être différent.

Répression sexuelle et autoritarisme

En 1936, dans son ouvrage La révolution sexuelle, William Reich explique: "Un état autoritaire a besoin de sujets soumis et la fabrique la plus efficace de ceux-ci est la famille patriarcale où les relations de pouvoir entre le chef d'état et son peuple sont reflétées dans les liens entre le chef de famille et ses descendants. L'état autoritaire a ainsi un représentant dans chaque famille et le père devient la ressource la plus importante de l'état. Le meilleur moyen pour un père de garder le contrôle de ses enfants est de réduire leurs désirs sexuels. En conséquence, les forces rebelles seront paralysées, la curiosité sexuelle inhibée et la faculté de pensée critique réprimée."

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La répression sexuelle est la marque de fabrique de toute dictature. Aucun programme de libération n'a une chance de succès sans une altération de la structure sexuelle.

La pression vers plus de conformité est liée à la pression des régimes autoritaires quand la démocratie suppose un respect pour le désaccord et la compétition. La sexualité enveloppée de religion est un outil de contrôle puissant. Mais l'échec spectaculaire des Frères musulmans au pouvoir a mis tout le futur de l'islam politique en doute.

Selon Bouhdiba, dans un monde de frustration, d'agression et d'anxiété, l'hyper sexualité et le puritanisme religieux deviennent des moyens pratiques pour échapper aux responsabilités et masquer nos échecs.

D'où l'émergence d'articles comme celui de l'algérien Kamel Daoud parlant de la misère sexuelle actuelle du monde arabe.

Dans ce panorama, Shereen el Feki parcourt le Proche-Orient et notamment l'Egypte à la recherche de réponses et de projets encourageants.

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Différentes catégories de mariage

En Islam, le sexe passe par des structures régulées: le même mot (nikkah) s'emploie pour nommer le mariage et les relations sexuelles. Le sexe hors mariage est considéré comme zina. La responsabilité financière du mariage incombant aux hommes crée une grande anxiété auprès des jeunes générations qui repoussent de plus en plus l'âge du mariage (fin de vingtaine pour les femmes et début de trentaine pour les hommes en Tunisie par exemple). Aux Emirats Arabes Unis, des fonds accordent même des bourses aux mariés à faibles revenus.

Mais il existe aussi d'autres types de mariage, plus temporaires comme le mariage de plaisir (zawaj muta) limité dans le temps et permis par les chiites ou les unions traditionnelles (zawaj urfi) non enregistrées par l'Etat.

Ces mariages permettent à des couples de se connaître mais sont aussi combattus par les fondamentalistes comme les associations feministes.

Le besoin de conversation libre et d'information sur le sujet est vaste. De nombreuses initiatives naissent pour combler le manque :

En Egypte, Mahasin Sabir a créé l'émission radio Motakalat (femmes divorcées) comme une libre antenne suivie par des milliers de fans dans le monde arabe.

Marwa Rakha, quant à elle, dispense des conseils personnels sur la vie sexuelle dans les media et internet.

Shahabna (Notre jeunesse) est une ligne téléphonique qui donne aux jeunes gens des informations de santé en général et sur la vie sexuelle en particulier.

Sahar Talaat, conseiller sur les pages santé et social d'Islam Online, un site web pionnier qui propose information, conseil et fatwas sur tous les sujets possibles et inimaginables.

Safa Tamish, palestinienne, a fondé of Muntada Jensaneya, Arab Forum for Sexuality, Education and Health qui fournit des programmes d'éducation sexuelle.

Et la fameuse sexologue égyptienne Heba Kotb qui aide à réconcilier ses patients avec la vision de la sexualité dans l'islam.

Une épidémie d'insécurité masculine?

Nehad Abu Komsan, avocate basée au Caire et responsable du Centre égyptien pour les droits de la femme, une des premières organisations à combattre le harcèlement sexuel considère ce problème comme endémique, le résultat de l'oppression politique et économique. Selon elle, les hommes se lâchent sur ceux qui sont en dessous d'eux dans la ligne de pouvoir patriarcale et sentent ainsi un minimum de pouvoir et de sens.

Il existe une longue préoccupation d'impuissance masculine dans la région quand un couple égyptien sur huit est non fertile. Etre un homme est un privilège mais peut aussi devenir une pression terrible.

Ce qui explique, selon l'activiste et journaliste Tarik Salama, que les hommes aient peur, peur d'être jugés, peur d'être rejetés, d'être trahis.

Ils souffrent d'une profonde insécurité. De plus grandes perspectives d'emploi les rassureraient. Les femmes changent, sont de plus en plus ouvertes mais les hommes restent les mêmes.


Comment réduire ce fossé?

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Contraception, avortement et prostitution

En Egypte, l'utilisation du préservatif est encore limitée, associée au sexe hors mariage malgré des campagnes innovantes comme DKV international qui l'associe au fait d'être un vrai homme ou le programme Y-Peer des Nations Unies.

Par conséquent, dans toute la région MENA, selon l'OMS, 1.7 million d'avortements clandestins ont lieu chaque année. En Egypte, les avortements déclenchés représentent 15% de toutes les grossesses dans les faits mais sur le papier, le patient et le médecin encourent encore des peines d'emprisonnement.

Les mères célibataires souffrent encore d'un tabou important et l'enfant illégitime est encore considéré ibn haram or ibn zina. De nombreuses associations agissent dans ce secteur et notamment Solidarités Féminine, Sol Fem, au Maroc et sa fondatrice Aicha Ech Chenna.

Le travail sexuel est en Egypte un clair reflet du pouvoir patriarcal omniprésent avec l'existence par exemple des Zawaj misayf ou mariage d'été pour les vacances de 1 ou 2 semaines et représente l'emblème du double standard.

Le plus grand guide de voyage sexuel, International Sex guide le mentionne.

Le roman Sand in the soul parle du cas inverse de touristes étrangères séduites et puis abandonnées par leurs amants.

Le Maroc est quant à lui le leader national en termes de combat face au VIH mais la proportion des prostituées dans le pays stigmatise ses citoyennes à l'étranger comme dit le dicton: Marocaine n'est pas une nationalité mais une profession...

Au-delà du genre

Le mot arabe qui décrit l'homosexualité, luti, dérive de Lot. Les dernières décennies peignent des portraits dramatiques de l'homosexualité et accusent les occupants occidentaux, Israël et la société de consommation d'émasculer la société arabe. L'intellectuel palestinien basé aux Etats Unis Joseph Massad alerte ainsi le monde arabe de l'impérialisme sexuel de l'Occident.

Dans tous les cas, le pire qui puisse arriver pour un homme est encore de se comporter comme une femme et l'acceptabilité de l'homosexualité du dominant face au tabou de l'homosexualité du dominé est flagrante.

La réponse classique à l'homosexualité est la prescription d'antidépresseurs assortie d'une leçon de moralité voire une thérapie de « réorientation sexuelle », comme la pratique le psychiatre Awsam Wasfy en Egypte. En Occident aussi, l'association américaine de psychiatrie n'a enlevé l'homosexualité de la liste des pathologies du DSM que depuis 1973.

La vision de l'homosexualité est encore une maladie à guérir et il existe beaucoup de confusion, comme par exemple la tendance à confondre homosexualité et transsexualité quand l'homosexualité est un comportement sexuel et la transsexualité une identité sexuelle. L'homosexualité féminine n'est pas toujours considérée comme une pratique sexuelle à part entière. Comme Clinton à l'époque, s'il n'y a pas de pénétration avec un pénis, il ne s'agit pas vraiment de sexe.

Le Liban est le pays le plus actif en termes de soutien à la communauté LGBT avec par exemple le groupe de soutien Reem pour les femmes queer ou la maison Womyn à Gemayze, la publication hebdomadaire de Bekhsoos, un magazine sur la diversité sexuelle dans le monde arabe. Toujours à Beyrouth, l'organisation Helem sensibilise également sur l'article 534 et La Marsa est le premier centre de santé sexuelle pour LGBT au Liban.

D'autres organisations existent comme Kifkif au Maroc, Abu Nawas en Algérie, Bedayaa au Soudan et en Egypte, Iraqi LGBT basée à Londres, Aswat and Al Qaws en Palestine.

Le camp de la région (Mantiqitna Qamp) rassemble ainsi les associations travaillant dans le secteur et permet de donner un espace de parole, d'écoute et de connexion pour les activistes LGBT.

Des rôles codifiés

Dans le Golfe, les différences de genre sont codées par couleur : blanc pour les hommes et noir pour les femmes. Toute transgression est une source d'anxiété pour la société afin de préserver l'identité nationale. Ainsi, en 2007 au Koweït, une loi est votée pour punir d'emprisonnement le fait d'imiter le sexe opposé.

Les Boyat sont ainsi des femmes qui ont une apparence physique et un comportement similaire aux hommes. Dans les Emirats Arabes Unis, des escadrons de police spécialisés surveillent les centres commerciaux de toute jeune fille au look suspicieux.

Pourtant au 9eme siècle, la mode du ghulamiyyat était très en vogue à Bagdad : les femmes qui étaient habillées comme des hommes mais portaient du maquillage étaient au nombre de 4.000 dans la capitale abbasside. De même, du temps du prophète, les mukhannatum étaient élevés comme des garçons mais se comportaient comme des femmes.

Mais aujourd'hui, au Qatar, un centre spécial de réhabilitation leur est dédié.

De même, dans la vision la plus traditionaliste, les transsexuels sont condamnés sous le prétexte que l'on n'altère pas la création de Dieu. Mais l'ayatollah Khomeiny a promulgué une fatwa permettant le changement de sexe en assurant qu'il n'est pas interdit par le coran et qu'il est bon de réconcilier l'âme et le corps.

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Conclusion

Quand on parle de sexualité, le monde arabe peut être perçu comme une citadelle, une forteresse imprenable opposée à tout assaut potentiel contre le mariage hétérosexuel et la famille.

Pourtant, des initiatives, même minoritaires et discrètes, voient le jour.

Une des clés réside dans la liberté d'association : au Liban, il est seulement nécessaire d'informer l'état, et non de lui demander son consentement pour créer une association. Et cette liberté offre un espace de dialogue et d'ouverture exceptionnel.

Un autre champ de possible accord entre activistes et leaders religieux est d'assurer le droit à la privacité, un principe clé dans l'islam.

La séparation culturelle entre le monde musulman et le monde occidental semble invoquer aujourd'hui bien plus Eros que Demos. Comment les rapprocher?

Ce post est un résumé de l'ouvrage de Shereem el Feki, La Révolution du plaisir. Pour en savoir plus, consulter le site web: http://sexandthecitadel.com/




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