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Suicides chez les mineurs en Tunisie: Cas isolés ou phénomènes de société?

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SOCIÉTÉ - "Le taux de suicide pendant le premier semestre 2015 équivaut au nombre enregistré lors de toute l'année 2014", s'alarme Moez Chérif, président de l'association tunisienne de défense des droits de l'enfant ( ATDDE).

Ce dernier, contacté par le HuffPost Tunisie avance qu'il n'y a pas vraiment de statistiques officielles en la matière mais plutôt des études faites par l'association auprès des hôpitaux.

"C'est la gouvernorat de Kairouan qui enregistre le taux le plus élevé de suicides, suivi par la gouvernorat de Bizerte", assure-t-il.

Les faits sont glaçants.

Lundi 18 janvier, un élève de 14 ans, inscrit en 9ème année au collège Bazina dans la délégation de Joumin, s'est pendu. C'était dans la soirée, à la maison. C'est le deuxième cas de suicide en moins d'une semaine dans la même région, le gouvernorat de Bizerte. Le 14 janvier, une adolescente de 14 ans s’était suicidée à Menzel Bourguiba.

Ces suicides sont-ils des cas isolés ou un phénomène de société?

Le ministère de l'Education nationale semble prendre ces incidents au sérieux. Il a ainsi entrepris en partenariat avec la société civile (le Fonds des Nations Unies pour l'enfance et ATDDE) une campagne centrée sur la santé mentale dans le milieu scolaire. Le slogan de la campagne est "Nous aimons la vie comme personne ne l'a jamais aimée".

La première action a eu lieu le 16 janvier à la ville de El Alâa, gouvernerat de Kairouan.

"Cette action est en réaction à des phénomènes inquiétants qui rongent notre société. On s'est aperçu que la santé physique n'est pas suffisante pour propager la culture de la vie. On a commencé par El Alâa et on poursuivra dans toutes les régions du pays", a annoncé Sihem Barboura, représentante du ministère de l'Education.

"Nous avons constitué des focus de groupes pour déceler les attentes des enfants ainsi que des clubs d'animation artistique afin de les aider à s'exprimer", a renchéri le président de l'ATDDE.

"A partir de cette première action, émanera toute une documentation et un plaidoyer dirigés vers les différents ministères concernés (ministère de la Culture, de la Santé...) pour mettre en place un programme national complet visant à contrer le mal-être chez les mineurs", a-t-révélé.

Le passage à l'acte

Mohammed (pseudonyme), 17 ans raconte au HuffPost Tunisie sa tentative de suicide à l'âge de 14 ans. Son passage à l'acte était bien réfléchi: "A l'époque on habitait dans un quartier chic de Tunis. Mes parents allaient divorcer, on se moquait de moi au collège parce que j'étais obèse et que j'avais pas d'argent comme les autres. Mes professeurs m'ignoraient pour ça, les filles me méprisaient."

"N'étant pas aussi riche, je ne pouvais pas... ne pas me comparer à eux. Rejeté, je me sous-estimais", a-t-il ajouté.

Mohammed raconte qu'il y a des jours où "c'était le néant" pour lui, "je ne voyais plus rien, tout était noir" et où "rien n'avait de sens dans ma vie".

Depuis sa tentative de suicide, ses parents n'ont finalement pas divorcé. Ils ont déménagé dans un autre quartier plus populaire où Mohammed a commencé à suivre des séances de psychothérapie. Cependant cet incident l'a marqué:

"Dans les yeux de ma mère je vois bien qu'elle me pardonnera jamais, qu'elle a honte de moi, de ce que j'ai fait. Pourtant je n'ai pas pensé à Dieu ni au paradis, ni à l'enfer, je voulais juste partir, ne plus jamais souffrir".


Les causes du suicide

D'après Moez Chérif, la principale cause de suicide est la violence familiale. Il y a ensuite la violence dans le milieu scolaire puis dans l'environnement général'. Il insiste sur la situation économique dégradée de certains enfants:

"Certains traversent 5 à 11 km par jour pour arriver à leur école. Il n'y a aucun moyen de loisirs, aucune activité culturelle, les maisons de jeunes désertées, aucune signe de vie. Comment vouloir faire barrage à la culture de la mort, après tout ça", a-t-il fustigé.

LIRE AUSSI: Écoles primaires dans les régions: Le parcours du combattant



Un traitement médiatique catastrophique


Pour la psychologue Hnifa Gharbi, le mal-être des mineurs ne concerne pas que les familles pauvres.

"Le facteur économique ne peut pas être à lui seul la cause de suicide, c'est multifactoriel et il y a des personnalités plus vulnérables que d'autres", a-t-elle dit au HuffPost Tunisie.

Mais un autre facteur existe selon Fatma Charfi, pédopsychiatre à l’hôpital Monji Slim. Ce sont les médias et leur regard "simpliste" sur le suicide:

"La médiatisation excessive des cas de suicides contribue à l'amplification de nombre de passage à l'acte", selon elle.

"On a constaté dans notre service qu'à chaque fois que des médias en parlent, on voit arriver le lendemain des mineurs qui ont fait une tentative de suicide, c'est systématique", a-t-elle ajouté.

Elle cite également d'autres supports comme Facebook, les feuilletons télévisés, les films...

"Un jour une fille qui a regardé la célèbre série 'Harim Soltane' où il y avait une scène de suicide, a été internée dans notre service suite à une tentative de suicide. Le problème c'est que certains ne souffrent d'aucune maladie mentale. C'est juste la volonté de s'identifier, d'imiter ce qu'ils voyaient, surtout lorsqu’ils partageaient la même souffrance avec la personne dont on parlait", a-t-elle déclaré.

La pédopsychiatre reconnait que la dépression, l’anxiété ont beaucoup augmenté depuis dix ans. Mais elle est certaine que la médiatisation demeure un "facteur de précipitation au passage à l'acte." Les chaînes de télévision doivent, selon elle, respecter certaines règles telles que les mentions (-12) ou (-18) lorsqu'elles évoquent des sujets sensibles.

Hnifa Gharbi peste aussi contre des parents qui sous estiment la portée du malaise de leurs enfants: "Je les comprends puisque eux-mêmes ont été élevés ainsi". Et elle n'hésite pas à critiquer une société qui assimile la maladie psychique à une déviance honteuse et qui perçoit la consultation auprès d'un professionnel en la matière comme "une honte à cacher".

"Au lieu de simplifier les causes qui sont souvent multiples, il faut chercher à poser les vrais débats. Les mineurs en souffrance psychiques sont souvent des victimes d'abus sexuels, émanant parfois des membres de leur propre famille", a-t-elle conclut.


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