NATIONALITÉ - Contrairement à ce qui peut être lu, la révision de la Constitution sur la déchéance de nationalité ne conduira pas à créer deux catégories de Français mais bien à affiner une hiérarchie déjà existante. Pour faire simple, il faudra ajouter les binationaux nés français aux citoyens qui ont acquis leur nationalité durant les quinze dernières années, déjà concernés par le texte actuel. A contrario, ceux qui sont nés français et qui ne possèdent pas de double nationalité restent du côté des intouchables, ce qui permet au passage d'obtenir l'adhésion d'une majorité des députés de l'Assemblée Nationale.
Manque de chance, et de cohérence, si l'on se réfère aux actes terroristes des deux dernières années en France, seuls deux des douze protagonistes identifiés disposaient d'une double nationalité. Plutôt que de prendre le temps de la réflexion, et éviter ainsi d'aggraver les tensions déjà existantes, le gouvernement français préfère inverser la courbe des sondages, en servant une nouvelle soupe populiste pré-électorale, qui ressemble étrangement à celle servie par Nicolas Sarkozy peu avant les élections de 2012 avec au menu débat sur l'identité nationale, interdiction de la burqa et circulaire Guéant pour limiter le nombre de naturalisations.
Le risque ici n'est donc pas tant dans la révision de la Constitution mais davantage dans une médiatisation voulue par le gouvernement pour tenter de masquer un échec flagrant face à l'islamisme radical, qui a explosé en plein jour suite aux événements tragiques de Paris. Pourquoi voir cette médiatisation comme un risque? Pour une raison simple, le paysage politique français a radicalement changé au cours des dernières années et l'accès à une forme de pouvoir des partis extrémistes, qui profiteront in fine de la normalisation du débat, est devenue de moins en moins hypothétique. La déchéance de nationalité, qui a concerné une poignée de personnes sur les quatre dernières décennies (27 cas recensés depuis 1973 par le ministère de l'Intérieur) pourrait être utilisée comme une arme démagogique de façon bien plus massive.
Plus inquiétant, le texte discuté prévoit une extension du périmètre applicatif, en étendant la déchéance à des délits graves, comme l'apologie du terrorisme alors qu'il ne ciblait jusque-là que des crimes avérés (actes terroristes ou complot contre la France). Or, il suffit de voir les conditions d'assignations à résidence de centaines de citoyens français pour saisir les distorsions entre la mise en place d'une loi et la réalité de son application. Rendre la citoyenneté française sujette à un jugement subjectif est dangereux. Dieudonné, qui était encore il y a peu de temps l'un des humoristes préférés des Français, a précisément été condamné pour apologie du terrorisme. Quid de son public, qui a naïvement ri aux éclats pendant ses spectacles? Est-il aussi à condamner? Il ne s'agit pas ici de critiquer ce jugement, ni d'aller à l'encontre des moyens de prévention, mais seulement de dénoncer leur inefficacité et d'anticiper d'éventuelles dérives.
Posons-nous de nouveau une question simple: et si cette révision de la Constitution avait été effective, combien des terroristes auraient été condamnés en France sur les deux dernières années? Vous connaissez la réponse. Aucun des douze terroristes impliqués dans les attentats de Charlie Hebdo, de l'Hyper Cacher, du stade de France et du Bataclan n'aurait été condamné. Des deux binationaux précités, il ne reste que des cendres. Ainsi, ce nouveau débat dénote d'une méconnaissance surprenante de la sociologie du terrorisme moderne et des méthodes utilisées. Une telle mesure n'aurait en rien permis de masquer l'incompétence de certains services de renseignement, tout simplement incapables de repérer à temps les auteurs des attentats.
Mais ne nous y trompons pas, la loi sur la déchéance de nationalité n'aura pas pour unique impact d'exacerber le malaise interne d'une population stigmatisée, elle conduira également à créer des tensions externes avec des partenaires historiques. Les statistiques sur les binationaux sont rares mais une étude de l'Institut National d'Etudes Démographiques (INED) datant de 2009 révèle que 3,3 millions de français sont dans cette situation et la communauté d'origine maghrébine est celle qui conserve le plus souvent sa double nationalité (plus de 66% des sondés).
Alors que les attentats de Paris ont engendré un formidable élan de coopération avec les pays du Maghreb (les services du renseignement marocains ont fourni les informations permettant l'assaut de Saint-Denis), le gouvernement français enverrait un signal contraire à ces pays, en déversant par dizaines ces dangereux déboussolés dans des Etats poubelles. Que se passerait-il si les pays du Maghreb adoptaient une loi équivalente? L'apatridie étant interdite par une convention de l'ONU datant de 1961, et d'ailleurs écartée à ce titre du texte de loi en France, la gestion du terrorisme international se réduirait à des duels de cow-boys entre pays pour savoir qui dégainera son arme en premier. La coopération entre Etats serait ainsi réduite au strict minimum dès lors que l'information fournie devient nuisible.
L'objectif de cet article n'est pas de dire que la situation exceptionnelle n'exige pas de mesures exceptionnelles, mais simplement de faire réagir les citoyens, concernés directement ou indirectement par la révision de la Constitution. Parce que la peur engendre une déformation de notre perception des réalités, il faut tenter de rester lucide et mesurer l'impact sur le long terme de cette mesure qui, comme le souligne Martine Aubry dans une tribune co-signée dans Le Monde du 24 février 2016, amorce "un affaiblissement durable de la France".
Parce qu'il est de plus en plus difficile de ne pas faire de parallèle entre les déchus du siècle passé, les juifs de France, dans les années 1940, et les musulmans aujourd'hui, probablement la première communauté de binationaux, il faut se réveiller, se secouer et réagir en nous remémorant les mots de Victor Hugo lorsqu'il déclarait qu'"il existe une connivence tacite, non voulue, mais réelle, entre ceux qui font peur et ceux qui ont peur".
Manque de chance, et de cohérence, si l'on se réfère aux actes terroristes des deux dernières années en France, seuls deux des douze protagonistes identifiés disposaient d'une double nationalité. Plutôt que de prendre le temps de la réflexion, et éviter ainsi d'aggraver les tensions déjà existantes, le gouvernement français préfère inverser la courbe des sondages, en servant une nouvelle soupe populiste pré-électorale, qui ressemble étrangement à celle servie par Nicolas Sarkozy peu avant les élections de 2012 avec au menu débat sur l'identité nationale, interdiction de la burqa et circulaire Guéant pour limiter le nombre de naturalisations.
Le risque ici n'est donc pas tant dans la révision de la Constitution mais davantage dans une médiatisation voulue par le gouvernement pour tenter de masquer un échec flagrant face à l'islamisme radical, qui a explosé en plein jour suite aux événements tragiques de Paris. Pourquoi voir cette médiatisation comme un risque? Pour une raison simple, le paysage politique français a radicalement changé au cours des dernières années et l'accès à une forme de pouvoir des partis extrémistes, qui profiteront in fine de la normalisation du débat, est devenue de moins en moins hypothétique. La déchéance de nationalité, qui a concerné une poignée de personnes sur les quatre dernières décennies (27 cas recensés depuis 1973 par le ministère de l'Intérieur) pourrait être utilisée comme une arme démagogique de façon bien plus massive.
Plus inquiétant, le texte discuté prévoit une extension du périmètre applicatif, en étendant la déchéance à des délits graves, comme l'apologie du terrorisme alors qu'il ne ciblait jusque-là que des crimes avérés (actes terroristes ou complot contre la France). Or, il suffit de voir les conditions d'assignations à résidence de centaines de citoyens français pour saisir les distorsions entre la mise en place d'une loi et la réalité de son application. Rendre la citoyenneté française sujette à un jugement subjectif est dangereux. Dieudonné, qui était encore il y a peu de temps l'un des humoristes préférés des Français, a précisément été condamné pour apologie du terrorisme. Quid de son public, qui a naïvement ri aux éclats pendant ses spectacles? Est-il aussi à condamner? Il ne s'agit pas ici de critiquer ce jugement, ni d'aller à l'encontre des moyens de prévention, mais seulement de dénoncer leur inefficacité et d'anticiper d'éventuelles dérives.
Posons-nous de nouveau une question simple: et si cette révision de la Constitution avait été effective, combien des terroristes auraient été condamnés en France sur les deux dernières années? Vous connaissez la réponse. Aucun des douze terroristes impliqués dans les attentats de Charlie Hebdo, de l'Hyper Cacher, du stade de France et du Bataclan n'aurait été condamné. Des deux binationaux précités, il ne reste que des cendres. Ainsi, ce nouveau débat dénote d'une méconnaissance surprenante de la sociologie du terrorisme moderne et des méthodes utilisées. Une telle mesure n'aurait en rien permis de masquer l'incompétence de certains services de renseignement, tout simplement incapables de repérer à temps les auteurs des attentats.
Mais ne nous y trompons pas, la loi sur la déchéance de nationalité n'aura pas pour unique impact d'exacerber le malaise interne d'une population stigmatisée, elle conduira également à créer des tensions externes avec des partenaires historiques. Les statistiques sur les binationaux sont rares mais une étude de l'Institut National d'Etudes Démographiques (INED) datant de 2009 révèle que 3,3 millions de français sont dans cette situation et la communauté d'origine maghrébine est celle qui conserve le plus souvent sa double nationalité (plus de 66% des sondés).
Alors que les attentats de Paris ont engendré un formidable élan de coopération avec les pays du Maghreb (les services du renseignement marocains ont fourni les informations permettant l'assaut de Saint-Denis), le gouvernement français enverrait un signal contraire à ces pays, en déversant par dizaines ces dangereux déboussolés dans des Etats poubelles. Que se passerait-il si les pays du Maghreb adoptaient une loi équivalente? L'apatridie étant interdite par une convention de l'ONU datant de 1961, et d'ailleurs écartée à ce titre du texte de loi en France, la gestion du terrorisme international se réduirait à des duels de cow-boys entre pays pour savoir qui dégainera son arme en premier. La coopération entre Etats serait ainsi réduite au strict minimum dès lors que l'information fournie devient nuisible.
L'objectif de cet article n'est pas de dire que la situation exceptionnelle n'exige pas de mesures exceptionnelles, mais simplement de faire réagir les citoyens, concernés directement ou indirectement par la révision de la Constitution. Parce que la peur engendre une déformation de notre perception des réalités, il faut tenter de rester lucide et mesurer l'impact sur le long terme de cette mesure qui, comme le souligne Martine Aubry dans une tribune co-signée dans Le Monde du 24 février 2016, amorce "un affaiblissement durable de la France".
Parce qu'il est de plus en plus difficile de ne pas faire de parallèle entre les déchus du siècle passé, les juifs de France, dans les années 1940, et les musulmans aujourd'hui, probablement la première communauté de binationaux, il faut se réveiller, se secouer et réagir en nous remémorant les mots de Victor Hugo lorsqu'il déclarait qu'"il existe une connivence tacite, non voulue, mais réelle, entre ceux qui font peur et ceux qui ont peur".
LIRE AUSSI:
- Pour suivre les dernières actualités en direct sur Le HuffPost Maroc, cliquez ici
- Chaque jour, recevez gratuitement la newsletter du HuffPost Maroc
- Retrouvez-nous sur notre page Facebook
- Suivez notre fil Twitter