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Pour un dispositif juridictionnel lisible et transparent face au retour des djihadistes

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Une question taraude toute la société tunisienne en cette fin d'année: que faire des djihadistes qui vont rentrer.

Pour l'heure, un individu revenant de Syrie et soupçonné d'être un djihadiste est censé être interpellé dès son arrivée. On nous parle de 800 cas dont 300 sont assigné à résidence pour les autres on ne sait pas. Les personnes arrêtées jusqu'à présent ont elles été mises en examen? Y a-t-il eu des décisions de justice, incarcération ou placement sous contrôle judiciaire pour ces 800 déclarés? Selon certaines sources ils seraient beaucoup plus nombreux et sont déjà revenus. Qu'en est-il réellement?

Les Tunisiens redoutent que la chute des derniers grands fiefs du groupe État islamique (EI) au Moyen-Orient, n'accélère et n'amplifie le retour de djihadistes aguerris au pays.

Beaucoup sont contre leur retour et proposent de les déchoir de la nationalité mais une telle mesure est contraire à la constitution (art 25) qui dispose "aucun citoyen ne peut être déchu de la nationalité tunisienne ni être exilé ou extradé, ni empêché de revenir dans son pays".

Cet article ne peut d'ailleurs être révisé comme le précise l'article 49 de la même constitution.

Il n'est donc pas sérieusement envisageable de s'opposer à leur retour. Ceux qui soutiennent le contraire ignorent ou feignent d'ignorer l'Etat de droit que nous nous voulons instaurer et que nous peinons déjà à construire.

La population est cependant en droit d'exprimer des craintes vis-à-vis des criminels de Daech qui risquent de revenir en masse et nombre de tunisiens disent clairement leurs réserves quant à la capacité de l'Etat de faire face et leurs et doutes quant-à la volonté politique de le faire. Certains vont plus loin en exprimant leur manque total de confiance en l'Etat pour gérer ce retour.

Deux éléments non négligeables, au moins, expliquent ce manque de confiance:

1/ La Tunisie a été le seul pays à avoir connu un gouvernement qui a banalisé ce phénomène lors de la Troïka 1 et 2. Tous les états engageaient des politiques publiques sécuritaires et prenaient des mesures de protection et d'empêchement au voyage, etc., alors qu'en Tunisie on a connu deux sons de cloche à la tête de l'état. D'une part, certains élus n'ont pas hésité à appeler au Djihad en Syrie depuis l'hémicycle de l'ANC dont les séances étaient diffusées en direct et n'ont jamais été inquiétés ni dénoncés et leurs partis ne se sont jamais démarqués et d'autre part le gouvernement n'a pas exprimé non plus de contestation quant à ce discours dangereux et incitateur au départ des jeunes. Le traitement de quelques arrestations qui avaient eu lieux pendant ces trois années reste non transparent et suspecté.

L'affaire de l'ambassade des Etats Unis, les incendies des Zaouias, les prêches dans les mosquées, l'affaire "Abou Yadh", rappellent aux tunisiens le laxisme sinon la complicité des responsables de l'époque et les assassinats politiques des Martyrs Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, toujours non élucidés sont dans la mémoire collective qu'on le veuille ou non de la responsabilité politique des islamistes au pouvoir.

Au surplus, l'un des partis impliqués dans ce phénomène, en l'occurrence le parti islamiste d'Ennahdha, est revenu au pouvoir sans qu'il ait rien fait de significatif quant-à la séparation du religieux et du politique et sans avoir reconnu à aucun moment sa responsabilité. Tout juste a-t-il consenti à déclarer lors de son dernier congrès avoir pris la décision de séparer la prédication du politique et a présenté cela comme un tournant alors que cela ne veut au fond rien dire et ne fait nullement de ce mouvement un parti politique comme les autres. Comment en vouloir dans ces conditions aux Tunisiens d'exprimer tout haut leurs craintes et leurs doutes quant à une réelle volonté de traiter efficacement ce dossier difficile?

2/ Le pays n'est pas encore réellement prêt pour gérer ce type de crise. Les réformes de la police et de la justice n'étant pas vraiment avancées, il règne aujourd'hui un manque de confiance quant à l'intégrité et l'impartialité d'une partie du corps de la justice mais aussi de l'appareil sécuritaire.

Nous savons qu'il faudrait plusieurs années pour que cela puisse se faire et des signaux très forts pour mettre fin au doute qui perdure sont indispensables.

La justice est loin d'avoir convaincu quant à son indépendance et son impartialité et les instances qui la représentent (syndicat et association) doivent faire face à ce déficit de confiance et nous convaincre que les choses sont en bonne voie.

Pour en revenir aux djihadistes, tous ne vont pas revenir en Tunisie. Certains seront arrêtés pour être jugés sur place et nous ne devons pas en demander l'extradition. D'autres tenteront de se relocaliser et iront en Libye, en Afrique subsahariennes ou ailleurs en Asie ou en Europe.

Tous les pays sont donc concernés par cette menace et il est extrêmement important de collaborer ensemble pour apporter des réponses collectives et trouver des moyens d'isoler et de marginaliser ces semeurs de mort. Il faut travailler sur des outils qui bloquent et assèchent leurs financements, renforcer les règles pour la traçabilité des ventes d'armes, isoler les pays qui sont compromis, etc.

D'autres, plus nombreux seront tentés ou n'auront pas d'autres choix, eux-mêmes ou/et leur familles (femmes et enfants) que de retourner en Tunisie. Face à ceux là dont le grand nombre représente une menace sérieuse, il nous faut nous préparer en augmentant notre capacité de défense notamment en mettant en place un dispositif juridictionnel lisible et transparent pour l'application effective de la loi antiterroriste.

Ce dispositif inclurait les différents intervenants (la police, la garde nationale, l'armée, la police des frontières, la justice, la douane, ...ainsi que la commission mise en place par cette même loi.

Tout autre traitement, toute autre voie comme on peut lire dans les propositions de certains (loi repentir et j'en passe) ou tentative de traitement au consensus de ce dossier seraient une insulte à l'intelligence des tunisiens et ne ferait qu'accroitre la perte de confiance.

Les différentes réserves exprimées par les tunisiens quant à ce retour et sa gestion nous amènent à proposer la mise en place d'un comité de suivi incluant les parties signataires de l'accord de Carthage et élargi à la ligue des droits de l'homme et aux partis représentés à l'ARP et non signataires de l'accord qui accepteraient. Ce comité devrait assumer le suivi et rendre compte à l'opinion publique régulièrement de ce qui aurait été entrepris et établir des évaluations d'étape afin d'améliorer le dispositif. La loi anti-terroriste qui prévoit des réponses aux différentes problématiques soulevées doit être appliquée.

Art. 77 - Le Tribunal de première instance de Tunis est compétent pour connaître des infractions terroristes prévues par la présente loi et les infractions connexes commises hors du territoire de la République.... "Si elles sont commises par un citoyen tunisien"...

Art. 78 - Dans les cas prévus à l'article 77 de la présente loi, l'action publique n'est pas subordonnée à l'incrimination des faits objet des poursuites en vertu de la législation de l'Etat où ils ont été commis.

Art. 79 - Le Ministère Public est seul habilité à déclencher et exercer l'action publique résultant des infractions terroristes prévues par la présente loi et des infractions connexes commises en dehors du territoire de la République.

Certains évoquent par avance la question des preuves et le fait que le juge serait dans l'incapacité de se prononcer par manque de preuve de l'implication des personnes poursuivies dans des crimes commis hors territoire. Certes le juge va s'appuyer principalement sur des témoignages, des publications sur des réseaux sociaux, des informations transmises par d'autres états, mais l'article 29 de cette même loi s'applique aussi pour appartenance

Art. 29 - Est puni de six à douze ans d'emprisonnement et d'une amende de vingt à cinquante mille dinars:
− Quiconque adhère sur le territoire ou hors du territoire de la République, à quelque titre que ce soit, à une organisation terroriste ou entente en relation avec des infractions terroristes, dans le but de commettre une des infractions terroristes prévues par la présente loi.
− Reçoit, sur le territoire ou hors du territoire de la République, un entraînement militaire, en vue de commettre l'une des infractions terroristes prévues par la présente loi. La peine encourue est de dix à vingt ans et d'une amende de cinquante à cent mille dinars pour les initiateurs des organisations et des ententes indiquées".

Il est donc clair que la loi anti terroriste trouverait à s'appliquer dans la plupart des cas et permettrait de juger toute personne impliquée et qu'il suffit de se donner les moyens de l'appliquer.

Des mesures administratives de protection peuvent être prises dès l'arrivée du concerné sur le territoire et jusqu'à transmission du dossier au juge, elles vont de la rétention à l'assignation à résidence à l'utilisation du bracelet électronique par exemple.

Il reste que ces djihadistes ne vont pas tous rentrer par les voies normales et beaucoup vont transiter ou tenter le faire par des réseaux de contrebande, de clandestins et réfugiés...

Mais là encore, d'une part nos services de police disposent des moyens pour établir des listes de ceux dont on sait qu'ils sont partis et/ou portés disparus par l'entourage et peuvent identifier contrôler les revenants et d'autre part, les passeurs tombent sous le coup de la loi anti terroriste et il n'est pas superflu de faire une campagne de communication sur cette loi et de rappeler les sanctions qu'encourent les passeurs qui seront jugés comme complices.

L'art 31 est très clair - Est puni de six à douze ans d'emprisonnement et d'une amende ... 1- procurer, par quelque moyen que ce soit, des armes, ou moyens de transport ou équipements ...., 2- Mettre des compétences ou expertises au service d'une organisation ...3- Divulguer ou fournit, directement ou indirectement, ....4- quiconque procure un lieu..., aide à les loger ou les cacher ou favoriser leur fuite, ou leur procurer refuge, .,... 5- quiconque fabrique un faux passeport, permis de circulation, ....ou tout autre permis ou certificat .

Il y a donc des moyens juridiques pour une politique cohérente, lisible, respectueuse de l'état de droit et de la constitution, de lutte contre les risques de retour de ces criminels, les faire juger et les sanctionner. Il faut seulement une volonté politique sans faille, des signes clairs et forts pour ramener la confiance des tunisiens. Le gouvernement ne peut minimiser cette question et bricoler des demi-mesures, il ne doit pas céder à la pression de ceux qui n'ont pas intérêt à ce qu'une telle politique soit menée car arrêter et faire juger ces terroristes là c'est aussi de sa responsabilité.

C'est donc une mobilisation générale contre le terrorisme qu'il faudrait avec une vigilance accrue, un dispositif transparent associant la société civile et la mobilisation des citoyens qu'il faut, avec un renforcement des dispositifs sécuritaires et une meilleure implication des Tunisiens.

A ce titre, il est urgent de donner des signaux aux citoyens en améliorant la communication, (un numéro vert pour faire un signalement visible et accessible), un affichage dans les établissements qui reçoivent du public (universités, administrations, hôpitaux, maison de jeunes, etc.). Une stratégie de communication est à mettre en place de toute urgence pour informer, sensibiliser, dissuader, rassurer, ... On a pris beaucoup trop de retard jusque là.

Mettre la priorité sur la protection de la société, engager les poursuites contre ces semeurs de mort fermement et en toute transparence, en assurer un suivi et en rendre compte sont donc les trois piliers d'une approche qui peuvent aider à retrouver la confiance de la population et l'amener à aider à la lutte contre les revenants de Daesh.

Dire comme l'a fait le chef de l'Etat "si nous mettons tout le monde en prison, on ne trouvera plus de places dans les prisons, mais nous prenons les dispositions nécessaires pour les neutraliser", ne tient nullement compte des inquiétudes de la population, ni du manque de confiance grandissant.

Dans la bouche du président, habitué aux petites phrases, ces paroles prennent tout un autre sens si l'on y ajoute la concomitance des déclarations islamistes sur le repentir et la campagne que mènent certains médias pour "blanchir" des terroristes.

Président de la république et garant de la sécurité intérieure et extérieure des tunisiens, il doit savoir plus que quiconque l'importance des mots et du moment et beaucoup y voient l'annonce d'une cogestion de ce dossier avec ceux qui sont au moins en partie responsables de l'envoi de nos jeunes en Syrie et en Irak.

Au surplus, doit-on rappeler que l'amendement de la loi 52/92, loi liberticide mise en place par Ben Ali pour le blanchir lui et sa famille, lors de l'affaire de la "Couscous connexion", permettrait de libérer beaucoup de places dans les prisons encombrées de jeunes incarcérés pour un joint. Mais ce n'est sans doute pas une priorité pour le gouvernement.

Il est donc urgent pour le gouvernement de fixer dans ce dossier brulant clairement le cap, de se donner les moyens nécessaires et de jouer la transparence en espérant que la justice trouve les chemins de son propre salut et que les magistrats aient le courage de l'indépendance et de l'impartialité que leur garantit la constitution, indépendance acquise de hautes luttes des démocrates à l'ANC et de la société civile en appui.

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