Si au XXe siècle la télévision, la presse écrite et la radio étaient des "médiatisants fermés" en ce qu'ils tenaient le téléspectateur, le lecteur ou l'auditeur dans une distance passive, sans possibilité d'interaction avec le contenu vu, lu ou écouté, nos smartphones sont au contraire devenus aujourd'hui des "médiatisants ouverts" qui s'accompagnent d'un nouveau champ sensoriel: l'"hoptique", mêlant l'haptique et l'optique. Le vu et le lu peuvent désormais être également touchés, mais un toucher qui reste à la surface froide de ce qu'il manipule sous la vitre de l'écran. Si pour Rimbaud, le XIXe siècle avait été le siècle de la main, le XXIe siècle sera assurément celui du doigt. Un doigt qui peut désormais agrandir, effacer, coloriser, et envoyer ces images et ces textes qui autrefois restaient "intouchables" derrière la vitre du téléviseur ou le vernis de la page de magazine.
Par l'écran nous pouvons également désormais faire nos courses, signer des pétitions, contacter et converser avec un proche, manipuler un objet à distance, voir ce qui se passe chez nous en notre absence, piloter un drone, parcourir le monde ou visiter un musée. Dès lors, ce n'est plus la réalité qui devient virtuelle (comme dans ces jeux où l'on s'enfermait dans un autre monde en chaussant des lunettes qui nous exilaient de la réalité) mais au contraire, la virtualité qui se réalise. Notre vision se partage alors entre l'écran de notre téléphone et ce qui nous entoure, tout comme notre attention. Son petit écran que l'on tient dans le creux de notre main ne nous coupe plus de la réalité, mais nous permet parfois au contraire d'y mieux vivre, instituant ce faisant une virtualité réalisée et réalisante.
Nous ne sommes enfin plus comme ces téléspectateurs passifs qui voyaient de loin (télé-vision) la vie des célébrités ou les aventures de leur héros préféré, mais nous devenons nous-mêmes tout à la fois des personnages de récits personnels, des stars post-warholiennes et des paparazzis de notre propre vie. Dans un reporting constant de notre quotidien, nous pouvons dès lors regarder notre propre existence sur notre téléphone, et nous enorgueillir de la voir suivie et likée par des "amis" sur les réseaux sociaux. L'intime se fait "extime" (Serge Tisseron), et nous privilégions l'écran et la relation médiée qu'il permet, cette retraite confortable à l'autre, au face-à-face jugé trop risqué et compliqué. L'animal social que nous étions se fait alors "télé-social". C'est ainsi que nous pensons d'abord à envoyer un texto de "bonne année" avant d'embrasser nos convives de réveillon ou que nous surfons sur internet tout en accompagnant notre enfant à l'école ou en "partageant" un repas avec notre femme ou nos amis. Jusqu'à devenir pour certains un moyen de dire à l'autre ce qu'il leur aurait été impossible à dire de visu, produisant pour la psychologue et anthropologue américaine Shirley Turkle une extinction progressive de toute empathie.
L'usage quotidien et compulsif de ces nouveaux outils que nous consultons, interrogeons et manipulons presque continument a dès lors modifié notre rapport au monde et à l'autre. Une tech-sistence désormais duale où le virtuel et le réel, le lointain et le proche, le privé et le public, l'intériorité et l'extériorité se mêlent dans un ici-et-maintenant de plus en plus instable.
Ce blog a été initialement publié sur le Huffington Post France
Par l'écran nous pouvons également désormais faire nos courses, signer des pétitions, contacter et converser avec un proche, manipuler un objet à distance, voir ce qui se passe chez nous en notre absence, piloter un drone, parcourir le monde ou visiter un musée. Dès lors, ce n'est plus la réalité qui devient virtuelle (comme dans ces jeux où l'on s'enfermait dans un autre monde en chaussant des lunettes qui nous exilaient de la réalité) mais au contraire, la virtualité qui se réalise. Notre vision se partage alors entre l'écran de notre téléphone et ce qui nous entoure, tout comme notre attention. Son petit écran que l'on tient dans le creux de notre main ne nous coupe plus de la réalité, mais nous permet parfois au contraire d'y mieux vivre, instituant ce faisant une virtualité réalisée et réalisante.
Nous ne sommes enfin plus comme ces téléspectateurs passifs qui voyaient de loin (télé-vision) la vie des célébrités ou les aventures de leur héros préféré, mais nous devenons nous-mêmes tout à la fois des personnages de récits personnels, des stars post-warholiennes et des paparazzis de notre propre vie. Dans un reporting constant de notre quotidien, nous pouvons dès lors regarder notre propre existence sur notre téléphone, et nous enorgueillir de la voir suivie et likée par des "amis" sur les réseaux sociaux. L'intime se fait "extime" (Serge Tisseron), et nous privilégions l'écran et la relation médiée qu'il permet, cette retraite confortable à l'autre, au face-à-face jugé trop risqué et compliqué. L'animal social que nous étions se fait alors "télé-social". C'est ainsi que nous pensons d'abord à envoyer un texto de "bonne année" avant d'embrasser nos convives de réveillon ou que nous surfons sur internet tout en accompagnant notre enfant à l'école ou en "partageant" un repas avec notre femme ou nos amis. Jusqu'à devenir pour certains un moyen de dire à l'autre ce qu'il leur aurait été impossible à dire de visu, produisant pour la psychologue et anthropologue américaine Shirley Turkle une extinction progressive de toute empathie.
L'usage quotidien et compulsif de ces nouveaux outils que nous consultons, interrogeons et manipulons presque continument a dès lors modifié notre rapport au monde et à l'autre. Une tech-sistence désormais duale où le virtuel et le réel, le lointain et le proche, le privé et le public, l'intériorité et l'extériorité se mêlent dans un ici-et-maintenant de plus en plus instable.
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