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Loi de Finances 2017: Épilogue d'une faillite annoncée

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Colère des travailleurs, mécontentement du patronat, grogne des blouses blanches, rébellion des toges noires. Hormis les maquereaux et les contrebandiers, c'est le tollé général contre la Loi des Finances 2017 (LF 2017) qui a été perçue comme une inquisition fiscale contre l'ensemble des catégories sociales. Dans les faits, cette agitation, contre ce qui est encore un projet de loi discutable, n'est qu'un feu de paille provoqué par le gouvernement Chahed pour masquer l'ultime touche dans la cession volontaire et méthodique de la souveraineté financière de la Tunisie sous couvert d'une problématique d'équilibre budgétaire.

Comme toute loi, la LF 2017 obéit à une philosophie. Dans le contexte, telle une brochure électorale, ses promulgateurs briguent la relance de l'investissement et de la croissance, l'ajustement des équilibres budgétaires, la lutte contre la corruption et l'évasion fiscale, etc. Dans le texte, ce projet de loi picore ça et là à la fois dans l'austérité et l'expansion budgétaire, les mesures contracycliques contredites plus loin par des mesures procycliques. Tout y est et n'y est pas à la fois.

Rigueur ou relance, l'essentiel c'est que la LF 2017 n'a de ferme que le rabotage des augmentations salariales et le blocage du recrutement dans la fonction publique. Le texte caresse par contre dans le sens du poil les fraudeurs du fisc pour ne grever qu'une frange réduite du patronat et des professions libérales qui remplit déjà son devoir fiscal.

Passant à côté d'un potentiel annuel d'évasion fiscale estimé à 10 millions de dinars (MD), la LF 2017, à la limite de l'anecdote, va timidement chercher les produits de l'impôt complémentaire dans la surtaxation des produits culturels, chez les propriétaires de piscines privées qui ne s'acquittent même pas des taxes municipales ordinaires et chez les marchands ambulants qui sont soumis à une "majba" (taxe de capitation) libératoire qui leur permettra d'écouler leurs marchandises de contrebande en toute tranquillité.

Avec un esprit des lois aussi ridicule, non seulement le gouvernement viole sciemment les accords de Carthage, mais aussi il confirme son intention de ne faire payer la note que par la Tunisie honnête et laborieuse. Et comme réaction à ce délit de parjure, il va de soi que la mobilisation des organisations professionnelles et de certains lobbies corporatistes contre cette loi scélérate ne s'est pas fait attendre. Le veto clair de l'Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT) signifie que la LF 2017 sous sa forme actuelle ne passera pas. C'est d'ailleurs ce que complote cyniquement le gouvernement Chahed: entretenir le statu quo sur une LF 2017 qui porte en elle les germes de sa propre abrogation.

L'intérêt du gouvernement dans le blocage des principales dispositions de la LF 2017 dont il est l'instigateur est double. D'abord offrir un os et une possibilité de fausse victoire à ses détracteurs qui ne manqueront pas de faire valoir le peu d'effet de cette loi sur la relance économique et l'assainissement des finances publiques; ce qui leur adossera du coup la responsabilité de ce blocage. Ensuite, justifier que, dans le cas d'impossibilité de lever des fonds par le biais des tailles salariales et de l'inquisition fiscale, le gouvernement sera forcément acculé à l'endettement extérieur pour équilibrer le budget de l'État.

Une des conditions de l'endettement public délibéré c'est justement de chercher les subsides domestiques là où ils n'y sont pas. L'autre condition est de gonfler arbitrairement sur tableau Excel le budget de l'État de telle manière que les ressources intérieures soient toujours très loin en deçà des dépenses budgétaires. La LF 2017 et celles qui l'ont précédée depuis la "révolution bénite" ont toujours rempli ces deux conditions avec pour résultante une croissance économique en berne et une dette publique passant de 40,4% du produit intérieur brut (PIB) en 2010 à 54,6% en 2016. Une dette d'autant plus toxique qu'elle est composée à 68% d'une dette en devises (rapport du Fonds Monétaire International, FMI, mai 2016).

Alors que les recettes de l'État ne suivent pas, les budgets dopés par la dette augmentent dans des proportions terrifiantes. Ainsi de 18.355 millions de dinars (MD) en 2010, le budget prévu pour 2017 est de 31.980 MD; soit une hausse de 74,2 % sans quelconque incidence positive sur la croissance et le niveau de vie du citoyen. Par rapport à 2016 cette augmentation est de 9,3% malgré les discours démoralisants sur la rigueur, l'austérité et les tailles.

L'absence de stratégie budgétaire est devenue par elle-même une stratégie puisqu'il ne s'agit plus pour tel ou tel gouvernement de s'adapter à une conjoncture ou de défaire une crise. On applique désormais une décoction économique qui fixe comme objectif du budget un taux de croissance du PIB fantaisiste sur la base de paramètres incontrôlables: le prix du pétrole, la parité du dinar et les rentrées fiscales. Avec cette démarche on s'assure d'avoir un déficit joliment arrondi qu'on cherche à combler d'urgence par l'endettement.

Sept ou huit gouvernements successifs post révolutionnaires se sont relayés dans cette course effrénée à l'endettement public que ne justifie ni leur incompétence ni la pression des revendications sociales. C'est au contraire une réitération consciente d'une politique d'assassinat financier de la Tunisie dans le laps d'un quinquennat. Que l'on a donc affaire à des mercenaires en guise de dirigeants politiques qui organisent consciencieusement la faillite économique du pays.

Les premiers assassins financiers ont vu leur apparition en 2011 avec les gouvernements dits de transition. Avec Jalloul Ayed, un requin de la finance aux commandes du ministère des Finances, secondé par des ministres expatriés tous rodés aux montages financiers, le bal du surendettement extérieur fût ouvert.

La Tunisie, en pleine effervescence révolutionnaire, disposait durant le 1er trimestre 2011 de réserves en devises équivalentes à 174 jours d'importation (109 jours actuellement), un taux de couverture de la balance commerciale passé de 73,1% à 79,2% avec une amélioration nette des exportations de 10,3% pour une même période de référence 2010. En même temps le déficit public et le service de la dette étaient économiquement maitrisables comme l'attestait à l'époque l'agence de notation Fitch Ratings (BBB stable en 2010, BB négatif actuellement).

Seulement, les experts du gouvernement ne virent dans ces indicateurs positifs que les signes de ce qu'ils appelèrent savamment un "collapsus économique". Et la solution proposée pour éviter ce collapsus fût de sortir sur le marché des dettes pour emprunter 5.000 MD comme "condition sine qua non de notre survie (sic)".

Pour justifier ce présumé besoin financier, qui correspondait curieusement à l'époque aux droits de tirage spéciaux de la Tunisie auprès du FMI estimés à 2,8 milliards de dollars, il fallait évidemment gonfler les dépenses publiques en créant un deuxième budget fourre-tout appelé budget complémentaire. Cette trouvaille économique était habilitée à dépenser sans compter pour réaliser "les objectifs de la révolution". De provisoire, la Tunisie est devenue en permanence le seul pays bi budgétaire au monde.

En 2012, avec l'avènement du gouvernement démocratique de la Troïka ce fût le décollage de la prodigalité publique financée par la dette. La philosophie du collapsus de Jaloul Ayed est enrichie par le credo du mercantilisme caravanier des islamistes arrivés au pouvoir. A côté du service de la dette, le commerce extérieur à sens unique des moutons roumains, du lait slovène et des glibettes turques finit l'œuvre d'épuisement des réserves en devises. Le montant des ventes des biens confisqués au profit de l'État, un patrimoine estimé à 20.000 MD, est englouti alors que le transfert des dividendes à l'étranger parachève le siphonnage des provisions de la Banque Centrale de Tunisie (BCT).

Les prêts à faible maturité et à taux d'intérêt élevé alimentaient un puits sans fond au fur et à mesure que la notation financière souveraine se dégradait. Faute de devises pour soutenir ce rythme soutenu du décaissement public, des délais et conditions d'emprunt posés par le FMI, on élabora alors des lois pour les sukuks islamiques qui consistent à rembourser les crédits sous forme de stades de football, stations balnéaires ou infrastructures portuaires.

Parallèlement, des dizaines de milliers d'emplois fictifs de "moujahidins" dans la fonction publique et des indemnités sociales pour les terroristes crevèrent le plafond budgétaire au point que la loi de finances complémentaire 2013 en est arrivée à prélever 1.000 MD sur le budget du développement pour les affecter aux dépenses courantes.

Pour faire perdre toute traçabilité à la machine de l'endettement et des malversations perpétrées, le gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) M.K. Nabli, qui mettait en garde contre certaines dérives, fût limogé. Le ministre des finances H. Dimassi fût lui aussi congédié pour avoir dénoncé publiquement la prodigalité de la Troïka.

Aujourd'hui encore on ne connait pas l'encours réel de la dette extérieure ni son affectation. La BCT et le ministère des Finances tiennent deux comptabilités différentes avec des séries rétrospectives sur la dette extérieure qui prennent étrangement fin en 2014 sans que les chiffres concordent. Ainsi le ministère affiche un endettement extérieur de l'État de 24.808,5 MD alors que la BCT avance celui de 22.924 MD pour la même année 2014. Une différence de près de 1.900 MD... le casse de tous les siècles.

La Troïka quitta la scène du crime avec un bilan financier de terre brûlée. En 2014, le gouvernement de Mehdi Jomaa est mis en place pour vérifier si l'économie nationale respire encore. Étant sûr qu'il n'assume aucune responsabilité dans la catastrophe économique minutieusement programmée, il prend alors des largesses avec son aide de camp le ministre des Finances, un assassin financier rompu aux pratiques de l'Organisation Mondiale du Commerce OMC.

Alors qu'on jugeait scandaleux le prêt de 500 millions de dollars contracté en 2012 auprès du Qatar, assorti d'un taux d'intérêt de 2,5% sur cinq ans, remboursable en une seule fois, le ministre des Finances, H. Ben Hammouda, mandaté sur le marché international des capitaux pour mobiliser 500 millions de dollars, conclut un prêt de 1 milliard de dollars américains au taux usurier de 6% sur une période de sept ans.

Dans ce marché de dupes, 277 investisseurs étrangers se sont arraché la manne de cette émission obligataire avec des offres en capitaux qui ont dépassé 9 fois la demande tunisienne. Sans vergogne le gouvernement déclara que la dette contractée sera consacrée au financement du déficit budgétaire et qu'il se félicitait du regain de confiance des investisseurs étrangers.

Emboitant le pas à son homologue, l'actuelle ministre des Finances, L. Zribi, et l'indéboulonnable gouverneur de la BCT, C. Ayari, comptent sortir eux aussi sans audit préalable sur le marché de la dette pour lever 1 milliard d'euros au taux de 7% afin de boucler le budget 2016. Ceci après avoir épuisé toutes les possibilités de crédits supplémentaires auprès du FMI qui a déjà donné son accord en mai pour un prêt de 2,9 milliards de dollars. A titre comparatif, le taux d'intérêt pratiqué par le FMI, de 1,4% sur une période de remboursement de 10 ans est déjà considéré comme excessif.

Cette descente aux enfers est encore plus déprimante quand on connait que le pays ne s'endette pas uniquement à travers l'administration centrale. La dette extérieure brute, ce qu'un pays emprunte à l'étranger, a atteint 57.694 MD en 2015 alors qu'elle était de 31.594 MD en 2010 (Chiffres BCT). Dette qui représentera selon le FMI 71,4% du PIB en 2017 et qui sera amplifiée par la dégringolade historique du dinar tunisien.

Devant ce scénario, ce ne sont certes pas les gesticulations du chef du gouvernement Y. Chahed et ses déclarations donquichottesques sur les réformes qui vont sortir le pays de la banqueroute.

La politique de son gouvernement de l'omerta qui réunit ceux-là mêmes qui ont organisé ce désastre financier se réduit à des appels au sacrifice et au sens patriotique du peuple qu'ils ont déjà dépouillé de toutes ses économies. La seule vérité qu'ils osent dire c'est que la situation est grave.

Aujourd'hui il n'y'a plus d'illusion à se faire. La situation est celle d'un pays en cessation de paiement non déclarée comme le révèle l'accord récent pour reporter à 2022 le remboursement du prêt et du dépôt qatari de 1 milliard de dollars sans compter les intérêts. Cette dissimulation ne concerne pas bien sûr les bailleurs de fond qui, consultent nos livres comptables à travers le Résident Général mandaté par le FMI, Mr. Blotevogel.

Et comme pour la Grèce, qui a confié sa souveraineté financière à la banque d'affaires Lazard, le temps de la moisson est venu pour la Tunisie qui passe sous tutelle de la banque Arjil selon le plan de restructuration établi par le FMI.

Pour la première fois dans l'histoire récente de notre pays un plan national de développement quinquennal est confié par appel d'offres à une banque d'affaires étrangère. Il en résultera une gigantesque braderie prévue fin novembre appelée pompeusement "conférence internationale d'appui au développement".

Ce genre de conférences a représenté pour la Grèce le remboursement d'une partie de sa dette par la privatisation forcée de 50 milliards d'euros de bien publics. Pour la Tunisie, nos Mustapha Khaznadar ont déjà entamé la conférence avec la mise en vente du stade olympique de Rades.

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