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Marzouki vs Béji Caid Essebsi: The Barbra Streisand effect

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Retenez bien cette date du 15 septembre 2016.

Alors que les radios nous font subir un flot incessant de la traditionnelle rentrée des classes avec des témoignages de parents qui se plaignent de la circulation, de jeunes qui ne sont pas très contents de reprendre les cours, du coût de la rentrée... voici qu'un statut de Moncef Marzouki daté du 14 septembre au soir, nous sort de cette torpeur médiatique.



En 24 heures, nous allons suivre, médusés, un défilé incessant de communiqués, de contre-communiqués, de démentis, d'affirmations... autant de rebondissements fous dignes des plus célèbres séries politiques américaines comme House of Cards ou Scandal.

1- Marzouki attaque

Que dit donc ce statut de l'ancien président? Pour faire simple, il évoque une interview donnée le 3 septembre.

Il y évoque les tractations et négociations, normales dirons-nous lors de ce genre de situation... mais surtout, il aborde un point très important: une tentative de censure. Rien que ça!

Et pour que ce soit encore plus énorme, Marzouki accuse clairement la présidence de la République d'avoir voulu censurer son interview et d'avoir exercé des pressions pour interdire l'interview. Premier round, uppercut direct.

Une règle de base de la communication est d'éviter au maximum "The Barbra Streisand effect".

Cette théorie toute simple, inspirée de la mésaventure de la chanteuse américaine qui avait voulu censurer les photos de sa villa sur Google, est une règle de la base de tout communicant: donner le sentiment, vrai ou faux, d'une tentative de censure donne aussitôt envie aux gens de découvrir l'objet de la censure. CQFD!

En quelques heures, tout le monde ne parlait que de ça: l'interview de Marzouki!

Adnene Mansar, porte-parole du censuré, organise une conférence de presse, l'occasion étant trop belle, pour "faire monter la sauce" et répéter ad vitam aeternam le fameux slogan, dans le cas présent plutôt efficace, de la menace des "résidus du RCD".

Coup de maitre médiatique. Posez-vous la question suivante: C'est quand la dernière fois que Moncef Marzouki a occupé médiatiquement le devant de la scène?

2- Absence de réaction de la présidence: l'erreur à ne pas commettre

La grosse erreur, et c'est là que l'équipe présidentiel a complètement raté la gestion de crise, est l'absence de réaction. On ne peut pas en 2016, à l'heure des flux d'infos faire semblant de ne pas être au courant. Qui ne répond pas, donne raison à son adversaire.

Les quelques heures de latence, près de 24h en fait, ont permis à l'opinion publique de se faire un avis.

Marzouki accuse + La Présidence ne réagit pas = Marzouki a raison.

La censure est un sujet sensible. Il suscite chez le Tunisien, un sentiment de peur, de crainte, de rejet, des mécanismes rattachés à la répression et au népotisme.

Il suffit d'appuyer sur un bouton pour enclencher l'émotion et l'émotion prime, médiatiquement, sur la réflexion. Le conditionnement psychologique engendre automatiquement une réaction émotionnelle.

Ce n'est qu'en fin d'après-midi que commence la valse démentis. Trop peu, trop tard.

Tous affirment la main sur le cœur "que la liberté de la presse est un acquis de la révolution..." etc...

En vrac, nous avons eu droit aux déclarations de Mofdi Mseddi, Iyed Dahmani, Mehdi Ben Gharbia et Nourredine Ben Ticha. Ce dernier est le conseiller de la présidence de la République chargé des relations avec les partis politiques.

Le problème de M. Ben Ticha est que son image est déjà marquée par l'affaire des éventuelles menaces (rien n'a été confirmé ou infirmé clairement encore une fois), qu'il aurait proférées l'encontre de l'ancien Premier ministre Habib Essid. Un comportement de mafieux qui renverrait, encore une fois, aux pratiques et aux menaces sous l'ère Ben Ali.

Ajoutons aussi que dans le cas d'une communication de crise, on doit, normalement, faire appel à un seul porte-parole et pas 10 000. Le risque est que la multiplication des intervenants brouille le message et soit interprété comme le signe manifeste d'un état de panique face à une information qui, par ricochets, deviendrait d'autant plus vraisemblable.

Autre question: pourquoi ne pas avoir annoncé de plainte en diffamation? On parle ici d'un ancien président qui accuse l'actuel président de vouloir censurer. C'est grave!

Et l'absence, à l'heure où cet article est rédigé, de poursuites judiciaires donne encore plus de crédit aux affirmations du camp de Marzouki.

3- Moez Ben Gharbia intervient précédé par le SNJT

On pourra par la suite dire que c'est faux, on pourra toujours demander une enquête, une contre-enquête, un démenti... le mal est fait.

Le Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) a condamné, dans un communiqué publié dès 11h00, "l'interdiction de la diffusion" de cette interview.

Il suffit de ce communiqué pour donner encore plus de poids aux déclarations d'Al Irada.

Le communiqué se suffit à lui-même, peu de personnes liront le contenu, les formules de précaution, l'éventuel conditionnel: pour l'opinion publique, le SNJT donne raison à Marzouki.

Enfin, interviennent les "chefs" de la chaine Attessia: Ben Gharbia et, dans une moindre mesure, Bsaïes.

Il est utile de rappeler le rôle que jouaient Ben Gharbia mais aussi Bsaïes dans l'abattage médiatique du 7 novembre durant le "règne" de Ben Ali.

Nous rappellerons également la vidéo surréaliste de Ben Gharbia depuis la Suisse où il parlait de tentative de meurtre, de documents secrets... Et Dieu seul sait combien le Tunisien en a mangé du "document secret", du "secret d'État", de la "menace contre l'État"...

Pourtant, le silence de la présidence donne, c'est malheureux mais c'est comme ça, du crédit médiatique à Ben Gharbia.

Qu'est-ce qu'on apprend? On apprend que, selon Moez Ben Gharbia, il y aurait eu des pressions de la part "de conseillers et d'influents auprès de la présidence".

On est toujours dans l'absence de courage qui consiste à dire "X m'a menacé!", non le courage médiatique est remplacé en Tunisie par des circonvolutions inutiles et fumeuses. Comme toujours d'ailleurs, rappelons-nous des pétards mouillés de révélations fracassantes noyées par d'autres annonces de révélations fracassantes...

Notons que l'interview sera finalement diffusée prochainement, on imagine que les plages publicitaires ont du se vendre au prix fort.

Conclusion

Que retenir de ce cas d'école de ce "ce qu'il ne faut pas faire en cas de communication de crise"?

L'équation est très simple: le citoyen se retrouve face à des médias gérés par d'anciens supporters de Ben Ali, un pouvoir géré par d'anciens proches de Ben Ali: la crise de confiance est là, palpable, visible, criante.

On a beau la rejeter, elle demeure inséminé dans notre cerveau et il suffit d'activer quelques boutons pour que les réflexes du Tunisien épié, surveillé, ne pouvant s'exprimer, reviennent: chassez le naturel, il revient au galop...

En moins de 24 heures, Moncef Marzouki et son équipe ont tout simplement, et subtilement, réintroduit la thématique du RCD.

Oui, "l'affaire de l'interview censurée" puisqu'il faut bien lui donner ce nom est très mauvaise pour l'image de Béji Caid Essebsi (BCE) et de Nidaa.

Par contre, le timing est excellent, en accusant indirectement M. Essebsi, Marzouki et son entourage ont choisi le meilleur moment (le pire pour l'équipe présidentielle).

Le Tunisien se retrouve, comme l'Histoire se répète, en train de supposer et de se poser des questions sur l'état de santé du président et de l'influence néfaste de son entourage direct. Cela ne vous rappelle rien?

Que l'on ne s'y trompe pas. L'affaire Marzouki/BCE est un prélude.

Ici, Al-Irada (ancien CPR) frappe un grand coup médiatique. En utilisant la propension de Ben Gharbia à vouloir créer du buzz, en rebondissant sur l'absence médiatique d'un président vieillissant tout en accusant son entourage de pratiques mafieuses, Marzouki se pose en victime.

Un peu comme Béji Caid Essebsi qui avait placé la Tunisie comme victime d'un éventuel "Tunistan" pro-Nahdha avec la suite que l'on connait.

Marzouki nous rappelle la menace d'un régime qui serait en train de préparer un retour à la dictature. L'argument d'Al Irada pour les prochaines municipales semble déjà trouvé.

L'équipe chargée de la communication de la présidence a été ici mise K.O par l'équipe chargée de la communication d'Al Irada.

Pour conclure, loin de nous l'idée d'évoquer une possibilité d'un détournement de l'attention de vrais scandales politiques, mais il parait que le magistrat accusé d'avoir eu des relations sexuelles avec une mineure dans une affaire de contre-terrorisme et d'infiltration ne sera pas relevé de ses fonctions tant que l'instruction sera en cours. Pour faire simple, il pourra continuer de travailler pendant de longues années.

Et puis sinon, on en est où de l'affaire du Sheraton et Bouchleka, des Panama Papers, etc...?

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