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Pas d'avenir pour la gauche sans reconstruction, rénovation et unification

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Près de 6 ans après le départ de Ben Ali, la scène politique tunisienne n'arrête pas de se structurer, de se déstructurer et de se restructurer.

Des partis se sont constitués avec une rapidité déconcertante, puis ont disparu avec une rapidité qui ne l'est pas moins. Il a fallu les élections législatives et présidentielle de la fin 2014 pour assister à une décantation politique qui a donné un coup de balai, mais qui n'est sûrement pas achevée.

Aujourd'hui, une nouvelle situation s'est imposée. Les deux plus grands partis, Nida (86 députés avec ses deux fractions ) et Ennahdha (69 députés) sont alliés et gouvernent ensemble, avec l'appui et la participation de deux autres partis (24 députés à eux deux).

Au gouvernement de Habib Essid, remercié sans autre forme de procès, a succédé le 26 Août un gouvernement dit d'union nationale, composé en très grande partie de Nida et Ennahdha, avec un ministre du parti Al Massar, aux fins d'assurer la fonction de "caution de gauche"!

Et la gauche, dans tout cela?

Après l'élection en 2011 de quelques députés de gauche dont la plupart sous l'étiquette du Pôle Démocratique Moderniste (PDM), plusieurs députés siègent aujourd'hui, après les élections de 2014, à l'ARP. Cela constitue un acquis et une véritable performance. Après des décennies de harcèlement, de répression, d'emprisonnement et de torture, la gauche se présente devant les électeurs pour solliciter leur confiance et se fait élire par une partie non négligeable des électeurs et électrices. A noter, que la gauche aurait pu gagner plus de sièges si elle s'était présentée unie dans un front commun.

Aujourd'hui, une évolution considérable s'est produite: après avoir appelé, aux législatives, les électeurs et électrices à voter pour Nida s'ils veulent l'aider à débarrasser le pays d'Ennahdha et de tout le mal qu'elle lui a fait, Nida, après une grande hésitation mêlée à une énorme confusion, a constitué en février 2015 un gouvernement avec Ennahdha et deux autres partis, l'un "mafiosique", l'autre "technocratique". Les mêmes tractations, la même confusion ont donné ce gouvernement de Chahed le 26 Août.

Ce sont donc des partis libéraux qui monopolisent le pouvoir en Tunisie depuis les élections d'octobre 2011. La droite obscurantiste (Ennahdha) et la droite libérale (Nida) contrôlent totalement, outre l'ARP, la Kasbah et Carthage.


Ces deux partis sont appelés à faire des choix très importants et décisifs sur les grands dossiers qui constituent aujourd'hui les blocages responsables de la situation dramatique dans laquelle se trouve le pays depuis le soulèvement du 14 janvier 2011, situation aggravée par l'impéritie totale des deux gouvernements d'Ennahdha et du gouvernement d'Essid qui vient d'être remercié par Caid Essebsi et Ghannouchi.

L'aggravation dramatique du chômage, la persistance de l'impérieuse nécessité du développement des régions marginalisées, l'extension inquiétante de la corruption, le blocage de l'investissement à la fois tunisien et étranger, le recul considérable du tourisme, l'inflation de plus en plus insupportable non seulement pour les populations démunies mais même pour les couches moyennes, la chute vertigineuse du dinar, l'aggravation de la situation financière des Caisses de Sécurité Sociale, le coût de plus en plus lourd de la compensation, sans parler du coût du nécessaire combat contre le terrorisme.

Nul ne pouvait imaginer que la coalition gouvernementale sortante, pas plus que le nouveau gouvernement, et en particulier les deux grands partis de la coalition et leurs deux chefs, Béji Caid Essebsi et Rached Ghannouchi, puissent faire des choix qui ne concordent pas avec ceux de la Banque Mondiale, du Fonds Monétaire international et des milieux financiers internationaux, ceux de l'Union Européenne et ceux des Etats Unis.

Résolument libéraux, ayant de surcroît largement hypothéqué la marge de manœuvre et de négociation de la Tunisie par l'accumulation insensée des lignes de crédit au cours des 5 dernières années, les libéraux au pouvoir ont constitué une proie plus que facile entre les mains de ceux qui ont fait les malheurs d'un pays comme la Grèce, ou ont fait monter le taux de chômage jusqu'à 20% en Espagne!

Les luttes sociales et le combat politique majeur au cours de la période à venir, sera contre cette politique libérale ou ultralibérale qu'on tente d'imposer à notre pays et contre les effets et les conséquences désastreuses d'une telle politique.


Là se pose une question essentielle: Quelle est la force qui est à même d'encadrer les luttes sociales et politiques et de présenter une alternative crédible à cette politique réactionnaire et dangereuse pour le pays? Qui, sinon la gauche?

Dans une campagne -parfois ouverte, parfois sournoise- contre la gauche, on la charge de tous les maux.

Certains ne craignent pas de la rendre -directement ou indirectement- responsable de la situation peu reluisante sur tous les plans que connait le pays depuis les évènements du 14 janvier 2011.

Ghannouchi n'a pas craint de déclarer récemment qu'à l'origine de l'apparition du terrorisme en Tunisie, se trouvait la domination des laïcs sur la scène politique durant les dernières décennies. Tout ce qu'a fait la gauche et tous les sacrifices qu'elle a consenti sont systématiquement occultés. On reconnait en Chokri Belaid un leader et un martyr, mais on ne précise quasiment jamais que Chokri est un dirigeant et un militant de gauche!

Tout le monde convient que les combats les plus déterminés depuis le 14 janvier ont été ceux menés contre les menaces des forces obscurantistes qui ciblent le modèle social tunisien et ses acquis. Et je crois que personne ne peut oser nier qu'au cours de cette période, la gauche a été présente, active et très entreprenante dans la défense de ce modèle attaqué et menacé par les islamistes d'Ennahdha et les salafistes.

Dans la défense des droits des femmes, celle des droits des travailleurs et des libertés syndicales, celle de la liberté pour les artistes et les intellectuels, pour la sauvegarde des libertés académiques (évènements de la Faculté de la Manouba), pour la liberté de presse et d'expression, les militant(e)s de gauche, de la société politique ou de la société civile, ont été constamment présents, et souvent même à l'avant-garde.

Nos adversaires -déclarés ou non- nous présentent comme des gens qui "délaissent les vrais problèmes du pays" et se complaisent dans "les querelles idéologiques"! Or il est clair que ce n'est plus, depuis longtemps, la "tasse de thé" des militant(e)s de gauche.

C'est une image entretenue par des gens qui rêvent de marginaliser totalement la gauche dans ce pays!

Vous savez, quand certains hommes politiques de gauche passent leur temps à jurer leurs grands dieux qu'ils ne le sont plus, quand un ex-parti de gauche n'est plus aujourd'hui "que" républicain tenant à se situer au Centre, quand un groupe important de dirigeants et de militants d'un parti notoirement de gauche quittent leur parti "historique" (certains y ont passé plus de trente ans!) pour rejoindre un parti à peine constitué par un ex-ministre de l'Intérieur, de la défense, des Affaires Etrangères, et ex-président de l'Assemblée Nationale durant les années de plomb, quand des militants de gauche ex-communistes, ex-trotskistes- siègent aujourd'hui dans le gouvernement de Caid Essebsi, de surcroît aux côtés de membres du parti obscurantiste Ennahdha, il faut croire que les querelles "idéologiques" ne sont plus qu'un vague souvenir pour beaucoup de militants de gauche.

Le problème essentiel et prioritaire aujourd'hui pour la gauche, ce ne sont plus les luttes et les querelles idéologiques, c'est de sauvegarder son autonomie politique et organisationnelle, c'est de se rénover, se reconstruire, et s'unir afin de devenir plus opérationnelle et plus influente sur le cours des événements.

La course effrénée, qui devient une sorte de mode vers ce qu'on appelle le Centrisme (on dit que "le centrisme , c'est la droite déguisée"), est encouragée entre autres par la crainte légitime de l'islamisme "nahdho-salafiste", et alimentée par les ambitions personnelles de leadership et les prétentions présidentialistes.

La gauche doit refuser d'être phagocytée dans une sorte d'auberge espagnole où il y a n'importe qui et n'importe quoi. Dans ce genre d'auberge, la gauche perdrait son âme et sa raison d'être. Les auberges espagnoles sont sympathiques, mais elles sont toujours à droite!

L'existence autonome de la gauche est une garantie irremplaçable: Une garantie de continuité, de persévérance....

Voyez l'histoire des 20 ou 30 dernières années chez nous: à part les intégristes d'Ennahdha qui se battaient pour un agenda qui leur est très particulier, n'est ce pas la gauche qui a été pratiquement à la pointe du combat contre le despotisme et la dictature? N'est ce pas la gauche qui a puissamment contribué à "libérer" l'UGET de la domination du Destour? La gauche n'a-t-elle pas contribué activement à la conquête d'une autonomie, au moins relative, de L'UGTT, et à la radicalisation du combat social et syndical?

La gauche n'était-elle pas activement présente dans la naissance d'un mouvement féministe autonome et combatif? N'était-elle pas bien présente dans le processus de consolidation et de radicalisation de la LTDH? N'était-elle pas bien présente dans les divers mouvements pour la défense et la promotion de la Culture? N'était -elle pas bien présente dans le combat des professionnels de l'information pour la liberté de la presse et la liberté d'expression?

Quelle est la force ou le courant politique (à part les islamistes, présents mais pour un agenda très particulier et qui n'a pas reculé devant le recours à la violence et même au terrorisme), qui pourrait, pour les 30 dernières années, en dire autant?

On ne dit pas cela pour prétendre que c'est la gauche qui a fait chuter Ben Ali ou que la gauche constitue aujourd'hui une force majeure. On dit cela pour dire simplement que notre pays a besoin de l'existence d'une gauche autonome et entreprenante.


Dans la triste phase que traverse notre pays, qui va vivre des combats difficiles contre le terrorisme et ses complices, pour la consolidation des libertés toujours menacées, contre les politiques et stratégies ultralibérales qui ne résoudront ni le problème du chômage, ni celui du développement de nos régions, ni celui de la croissance et de l'investissement, ni celui de la grande dégradation de notre système d'éducation, de notre système de santé et de notre système de couverture sociale et de retraite, ce sera essentiellement à la gauche, dans un esprit toujours unitaire, de mener et d'encadrer ces combats.

Si les combats à venir, et si le pays ont besoin d'une gauche forte, unie, autonome et unitaire, c'est parce qu'elle est LA SEULE, oui la seule qui présente la garantie de se battre, et de se battre SANS CONCESSION:

  1. Pour la séparation entre religion et politique


  2. Pour le respect intégral des libertés de conscience, d'opinion, d'expression et de presse, ainsi que pour la liberté de création ("toute réserve sur la Culture est une position terroriste" - Roland BARTHES), et pour les libertés académiques


  3. Pour l'égalité totale, sans discrimination d'aucune sorte et pour quelque motif que ce soit, entre les femmes et les hommes


  4. Pour la justice sociale et pour un développement économique qui ne discrimine aucune région du pays et qui fasse que l'économie soit au service des hommes et des femmes et non l'inverse


  5. Pour la sauvegarde de l'unicité du système d'enseignement républicain et le rejet de toute tentative d'instaurer un système parallèle d'enseignement à base religieuse


  6. Pour la sauvegarde de la souveraineté nationale et le rejet de toute intégration ou implication de notre pays dans des stratégies de domination et d'agression contre d'autres États et d'autres peuples.


C'est cela en réalité à la fois la définition et le programme actuel de la gauche aujourd'hui en Tunisie.

Elle reste fidèle à son histoire ("il n y a que le chien qui renie ses origines" dit le proverbe tunisien), mais intègre les évolutions et les ruptures faites par l'histoire.

Portant avec détermination et sans concession son attachement indéfectible à la justice sociale et son refus de l'exploitation, la gauche n'aimera jamais le capitalisme; mais le socialisme qui constitue sa référence historique et son alternative, est aujourd'hui dans une crise très profonde et à laquelle personne ne voit, ni idéologiquement ni politiquement, une issue.

La gauche doit-elle attendre 10, 20 ou 30 ans que les intellectuels et les politiques de gauche élaborent un nouveau socialisme ou une nouvelle alternative au système capitaliste?

Sauf que l'histoire n'attend pas, les travailleurs et les peuples en général non plus.

Aujourd'hui ce qui mine le monde et terrasse les économies, c'est LE CAPITALISME FINANCIER ULTRALIBERAL qui détruit des économies entières, qui met à genoux des États.

La Tunisie est aujourd'hui gouvernée par une coalition de partis, tous ultralibéraux, avec en bonus, plutôt en "malus" pour l'un d'entre eux, qui ajoute à cette tare ultralibérale celle d'appartenir au mouvement des Frères Musulmans.

La gauche, qui est la seule à mettre sans concession l'intérêt des travailleurs, du peuple et du pays au-dessus de toute autre considération, est la mieux et la plus indiquée pour mener le combat à la fois contre le capitalisme ultralibéral et contre l'obscurantisme islamiste, unis et alliés aussi bien en Tunisie qu'ailleurs dans la région.

Et pour cela, la gauche ne peut pas se permettre de rester désunie, éparpillée entre ceux et celles engagés dans un certain nombre de petits partis de gauche, des militants politiques indépendants actifs sur le terrain politique, et des centaines de militants de gauche investis dans le mouvement syndical, le mouvement féministe, le mouvement culturel et le mouvement associatif de manière générale.

Il est grand temps que ces milliers de citoyens militants de gauche, dont de nombreuses femmes et de nombreux jeunes, se retrouvent enfin ENSEMBLE dans un même espace organisationnel, qui peut être LE GRAND PARTI DE GAUCHE UNI que prônait feu Chokri Belaid quelques semaines avant son lâche assassinat par les islamistes, ou toute autre forme, la plus unitaire possible, la plus opérationnelle possible.

Mais attention, il ne s'agit pas de rassembler les partis de gauche existants en leur adjoignant quelques dizaines ou même centaines d'indépendants!

Ce serait là du "rafistolage" qui ne répondrait pas du tout aux exigences de la situation actuelle et à la mission qui revient à la gauche aujourd'hui et dans les combats de demain.

Il s'agit de rénover, de reconstruire et d'unifier la gauche. Et soyons clairs: Autant il est normal que dans un FRONT (électoral ou autre) il peut y avoir des partis de gauche et d'autres qui ne le sont pas (comme c'est le cas pour le Front Populaire où, à côté de 3 partis ou groupes de gauche, il y a d'autres partis ou groupes nationalistes arabes de diverses obédiences), autant ici il s'agit d'une exigence qui se pose exclusivement pour les hommes et les femmes de gauche.

Alors, répétons-le: "Il s'agit de rénover, de reconstruire et d'unifier la gauche!!!"

La situation est grave. L'exigence de rénovation et d'unification est urgente. Il faut engager le processus et le mener lucidement, sérieusement, sans laxisme mais aussi sans retard.

Il est impérieux si on ne veut pas se condamner à l'échec, ne pas s'enfoncer dans des bilans historiques interminables, ni dans des débats idéologiques stériles et infructueux.

Ce qui est recherché, ce sont les bases d'une gauche plus entreprenante, plus opérationnelle, plus représentative, plus jeune, plus féminine, et plus unie. Et le plus tôt sera le mieux!

Pour la gauche elle-même, pour la démocratie et le progrès, pour le combat contre l'obscurantisme et le terrorisme, pour la Tunisie.

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