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Burkini: La puissance des images, la violence des faits

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L'euphorie du feuilleton burkini aurait pu durer le temps d'un été, et comme un amour de vacances vite s'estomper. A la rentrée, on se jurerait, mais un peu tard, de revenir aux choses sérieuses et de ne plus en parler. Ça aurait pu et ça se serait sans doute déroulé ainsi, si les images qui ont circulé il y a deux jours n'avaient pas été aussi fortes et n'avaient pas suscité autant d'émotion.

Et l'image de la femme au turban bleu se dévêtissant sous l'ordre des policiers fit la une.



Le mardi matin, l'histoire de Siam, verbalisée à Cannes pour ne pas avoir retiré son voile à la demande des policiers, n'avait pourtant pas suscité autant de réactions. Et cela bien que sa situation était en bien des points similaire à celle de cette femme au turban bleu à Nice, dont les photographies ont été publiées par le Daily Mail. Dans un cas, on a les faits complets et narrés mais sans illustration et il y a de façon relative, peu de réactions. Dans l'autre, on a seulement les images et des bribes d'information mais une indignation mondiale.

La leçon: pas d'image, pas d'exhibition, peu d'émotion. Aurions-nous donc besoin d'images pour satisfaire un voyeurisme dont nous n'aurions pas conscience? Après tout ce n'est pas tout à fait un hasard, si c'est un tabloïd qui, entre deux articles sur la fin du monde en octobre et les scandales sexuels d'Usain Bolt, a publié en premier les photos de cette femme sommée de se dévoiler.

Ce n'est en fait pas tant le voyeurisme qui inquiète, que l'excitation soudaine et comme impulsive autour de cette histoire, facilitée par la présence du support visuel. Le philosophe Michaël Foessel, dans un long entretien accordé à Libération au sujet de l'indignation, explique que le scandale médiatique appelle à la révolte "mais à condition que celle-ci demeure particulière et pulsionnelle, donc antipolitique." 

Toutefois, on peut aussi avoir l'espoir de voir dans une pareille agitation médiatique, comme un préalable à l'action politique. Une indignation collective, qui permettrait de "saisir le général dans le singulier". Prenons un exemple.

Le pouvoir des images: saisir le général dans le singulier

Le dessin de Khalid Albaih: "Choix possibles pour les enfants syriens. S'il reste. S'il part."



Les images d'Aylan et Omrane, ont elles aussi monopolisé l'espace médiatique pendant un certain temps. Tant d'enfants, d'hommes et de femmes ont péri dans la guerre civile qui ravage la Syrie.

Ce n'est pourtant qu'avec les photos de ces deux garçons que la guerre a enfin eu un visage. Il est difficile d'évaluer l'impact sur le long terme qu'ont eu ou que vont avoir ces images dans l'opinion publique. Ce qui est certain, c'est qu'avec elles, comme le montre le dessinateur Khalid Albaih, c'est un aperçu de l'horreur dans laquelle la Syrie est plongée depuis des années qui est porté à la connaissance de tous. Nous ne pouvons plus détourner le regard pour faire mine de ne pas avoir vu, l'image est là constamment devant nous pour nous le rappeler.

Pareil pour le burkini. Ce n'est pas seulement l'histoire de cette femme qui indigne, elle est la goutte (et quelle goutte!) qui fait déborder le vase. Avec des mesures - projet de loi de déchéance de nationalité, arrêtés anti-burkini - qui visent certaines catégories de citoyens français sans toujours les nommer: c'est de plus en plus difficile de le nier, l'ambiance générale en France depuis les attentats de Charlie devient beaucoup trop pesante.

Les raisons de la chasse au burkini

Saisis de la gravité de la situation, on a ensuite cherché à comprendre comment on en était arrivé là. Il y a ceux qui ont accusé l'autre. Il y a ceux qui ont cherché la réponse à l'intérieur: cela nous a mené à l'introspection. On cherche d'où l'on vient, on cherche où l'on va.

A gauche, une affiche de propagande des années 1950 réalisé par le cinquième bureau d'action psychologique de l'armée pour inciter les musulmanes de l'Algérie française à enlever leur voile.

A droite, une photographie prise en 1925, où un policier de la ville West Palm Beach en Floride s'assure que la longueur du maillot de bain d'une jeune dame soit conforme aux législations en vigueur.

collage


D'où l'on vient, c'est simple, on puise dans les archives. Et en moins d'une journée d'autres photos ont surgi. L'approche historique - les relents impérialistes français - et genrée - la volonté de contrôle du corps et de l'habillement de la femme - ont été le plus mentionnées pour chercher des explications.

L'écrivain libano-britannique Nasri Atallah reprend l'analyse qu'avait faite la militante indienne Arundhati Roy en 2014 à propos de la loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public français.

"Quand, comme ça s'est récemment passé en France, on a essayé d'obligé les femmes à ne pas porter de burqa plutôt que de créer un environnement dans lequel chaque femme puisse avoir le choix de ses actes, on n'a pas oeuvré à libérer les femmes, on les a seulement déshabillées. C'est devenu un acte d'humiliation et d'impérialisme culturel. Forcer une femme à ne pas porter de burqa revient au même que de forcer une femme à en porter. Ce n'est pas la burqa qui compte ici, c'est la contrainte. Considérer la problématique du genre de cette façon, dépouillée de son contexte social, politique et économique en fait un problème identitaire, une bataille d'accessoires et de costumes."



Les images résonnent, seuls restent les symboles

Où l'on va, c'est ce qui fait le plus peur et c'est ce qui est le plus dur pour l'instant à déterminer. Les Tunisiens ont tout de suite vu dans ces quatre policiers entourant la dame, la réincarnation de l'autoritarisme plus ou moins séculier de Ben Ali où on menait la vie dure aux femmes voilées.

Puissance évocatrice de l'image, la première chose qui m'est moi venue à l'esprit, de manière inconsciente, quand j'ai vu cette femme retirer son vêtement à Nice, c'est cette photographie d'une autre femme qui elle se dévêt de sa burka lorsqu'elle a pu quitter les zones contrôlées par Daesh.

burka

Tout est dans l'intention; le même geste, mais d'un côté une femme qui se libère et de l'autre une femme que l'on opprime. Le mot d'oppression est peut-être trop fort, en France on a préféré parler d'un acte d'humiliation. C'est vrai qu'on ne peut que très difficilement comparer les conditions de vie des femmes sous l'Etat Islamique autoproclamé et l'Etat Français. Mais la violence à la fois physique, verbale, idéologique, politique et symbolique paraît d'autant plus grande qu'on ne l'attendait pas ici, naïfs et naïves que nous étions. Il a fallu que les autres, le monde, nous renvoie cette image de nous-même que nous ne voulions pas voir. Les photographies du Daily Mail ayant d'ailleurs souvent été reprises accompagnées du hashtag #WTFFrance (à comprendre: La France, vous êtes sérieux?).

Ce qui est frappant dans la superposition de ces photos, c'est cette manière de se déshabiller qui est propre à la femme (les hommes ont plutôt tendance à agripper leur col pour retirer leurs vêtements). C'est comme un mouvement qui nous lie, femmes que nous sommes, sans appartenir ni à notre époque, ni à notre culture, ni à chacune de nous individuellement. Kundera écrit que ce sont les "gestes qui se servent de nous ; nous sommes leurs instruments, leurs marionnettes, leurs incarnations".

C'est comme ça que cette femme, venue simplement somnoler au soleil niçois, s'est vue, du jour au lendemain, par le pouvoir d'une image, incarner tout un combat.

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