Dans cet admirable jeu de société monopoliesque qu'est notre République unie et indivisible, chaque jour apporte son lot d'éléments de hasard plus farfelus les uns que les autres, de lancers de dé où Dieu intervient idéologiquement (nos excuses à Einstein) et de frustrations de mauvais joueurs.
Chaque fois qu'un joueur se retrouve en prison et reçoit la carte miraculeuse "Vous sortez de prison" grâce à un allié de jeu, je passe mon tour.
Chaque fois qu'un joueur emprunte à la banque plus qu'il ne pourra jamais rendre et demande à son copain de passer une loi pour oublier tout ça - ou plutôt d'utiliser l'iconique "neuralyser" des Men in Black sur la population hébétée, je passe mon tour.
Et je me rends compte que j'ai perdu en ne faisant rien. Et soudain j'ai le sentiment d'être dans un opéra de Giordano, m'écriant "Così stai solo ! E intorno il nulla !" (Je suis seul et autour de moi le vide).
Et puis je me rends compte que je ne suis pas seul. C'est tout une jeunesse qui passe son tour, perd et doit évacuer le plateau de jeu, soit pour un autre pays, soit pour se perdre dans le désert moyen-oriental, soit pour se perdre dans les limbes de la médiocrité.
C'est parce que cette jeunesse est le premier maillon d'une chaîne alimentaire kafkaesque que notre pays est en train de perdre le grand jeu de Société, celui-là dont la partie en cours a commencé il y a 3,8 milliards d'années.
Alors, mon cher monsieur, vous qui, pour votre jeunesse, êtes peut-être le dernier Premier ministre en qui j'ai un quelconque espoir, ne "récupérez" pas la jeunesse par quelques mots de réconfort, car l'espoir ne naîtra que lorsque vous prendrez ce plateau de jeu national, corrompu comme la moelle rouge de Mohamed Suharto, que vous le déchirerez en deux, puis en quatre, puis en huit. Lorsque vous enverrez les dés et les cartes dans la cheminée (ou à l'administration) la plus proche pour qu'ils ne reparaissent jamais, et que vous commencerez à faire rêver cette jeunesse.
Puis à la mettre à l'ouvrage pour réaliser ses ambitions.
Puis à la congratuler pour ses accomplissements.
Il faut que vous l'accompagniez, non comme un parent car le paternalisme engendre la révolte, mais comme un allié, comme un ami.
Ce n'est pas une lettre ouverte, car les lettres ouvertes se font tôt ou tard fermer. En fait je parle, comme à ces amis imaginaires que nous avions, enfants.
Ne soyez pas un ami imaginaire. Soyez un ami réel, tellement réel que vous agirez - que la jeunesse ne se sentira plus "encerclée" par le vide.
Et peut-être, peut-être oui, la Tunisie commencera à marquer des points dans la compétition acharnée entre les nations de cette terre, dans ce grand jeu Darwinien où ne demeure que celui qui sait s'adapter et innover.
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