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L'été, l'Aïd et l'Afekisation de la Tunisie

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Avec le tabbel, les makrouz et les feuilletons à la télé; le débat sur le manque économique à gagner est une autre tradition de la période de Ramadan. Les Tunisiens parlent compétitivité et productivité, et certains d'entre eux se disent même prêts à sacrifier leurs congés. 

Nous sommes dimanche, il est 10h30, et je me réveille tout juste de ma grasse-matinée ramadanesque. A mon inactivité matinale, s'oppose le flux incessant d'actualités Facebook.

Dans le lot, je repère la publication d'un ami, actif dans la société civile. Il s'attriste des trois jours de congés accordés pour l'Aïd, inconcevable selon lui, alors que notre économie est encore en berne. Mais ce n'est pas le seul à se plaindre, quelques vidéos drôles, mises à jour sentimentales et articles plus tard, une autre amie partage une pétition pour la suppression de la séance unique en Tunisie. La pétition réunit quelques 1000 signatures, soit une mobilisation plutôt marginale, mais témoin d'un phénomène qui a de plus en plus d'écho dans la société.

Les héritiers de Bourguiba

Ce mouvement de contestation n'est pas tant inédit. Déjà dans les années soixante, Bourguiba nargue les jeûneurs en buvant son jus d'orange à la télévision publique, et cela en plein ramadan.

Il le justifie, comme il le fait toujours, par l'ijtihâd - un effort de repensée de l'Islam dans la société contemporaine - car il était à l'époque nécessaire de lutter contre le sous-développement économique. La situation économique tunisienne, n'a jamais cessé, semble-t-il, d'être mauvaise. Car à chaque ramadan depuis, le débat est à nouveau ouvert.

La question s'est souvent centrée sur les forces de l'ordre. Peuvent-elles être garantes de la sécurité tout en jeûnant? Puis, doit-on supprimer le régime spécial de séance unique (pourtant instauré par Bourguiba)?

La discussion concernant alors tous les travailleurs, petits soldats de "l'état d'urgence économique".

La montée d'Afek, ...

Si le parti Afek Tounes n'a pris aucune position sur ce sujet-là en particulier, il est difficile de ne pas le voir plus généralement comme un porte-voix d'un appel à une certaine compétitivité. 

Mais qui de l'œuf ou de la poule vient le premier? Le mouvement Afek a d'abord été la traduction politique d'une volonté de libéralisation économique pour booster l'économie face à un secteur public à la traîne, tout en sachant en retour faire résonner cette voix et diffuser ses idées.

Le parti, qui s'était présenté comme une alternative "clean" à l'offre Nidaa/Ennahdha, à son tour, s'est pourtant vite pris les pieds dans différents scandales impliquant ses cadres; Yassine Brahim et le Lazard Gate ou encore Noomane Fehri cité dans les Panama Papers. Des affaires-dérives d'une droite néolibérale?

Il y a, dans un autre registre, la sortie récente de Walid Sfar, qui suggère l'instauration d'une "dictature républicaine". Il précisera plus tard que ses propos étaient volontairement caricaturaux et qu'ils n'engagent nullement Afek. Drôle d'annonce, pour un porte-parole.

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Aux dernières élections législatives, grâce à un discours plus séduisant, le parti qui se dit libéral-social avant tout, avait pourtant créé la surprise. 

Critiqué par certains pour gérer le pays comme on gérerait une entreprise, prisé par d'autres pour ses idées innovantes, roi des polémiques et des railleries en tout genre, avec un travail de terrain, il avait conquis une audience croissante jusqu'à se hisser au rang de cinquième force politique du pays. Une afekisation de la société en réponse au laxisme ambiant?

... la fin du laxisme?

Il est vrai que le dynamisme des jeunes diplômés d'Afek - bien que leurs députés ne soient pas aussi endurants - apparaît comme un contre-temps du bien connu laisser-aller à la tunisienne.

A l'occasion d'un colloque de l'Office des Tunisiens à l'Étranger auquel j'avais participé, j'avais eu le droit à un cocasse cours d'adaptation aux us et coutumes locales.

Un des intervenants nous avait donné l'exemple d'une Canado-Tunisienne, paniquée parce que l'entreprise en Tunisie dans laquelle elle travaillait devait ouvrir à 8H, mais que les gérants arrivaient toujours dans les environs de 9H, voire plus tard.

Et lui de conclure en invitant les jeunes de la diaspora qui veulent venir travailler en Tunisie à faire des efforts. On se serait attendu au contraire. "El tounsi tounsi" dit-on. 

Repenser le travail

La philosophie du travail est une vaste construction. On retiendra avant tout que le travail est un "travail sur soi".

C'est pour l'homme l'occasion de se donner des exigences, et d'œuvrer à y répondre.

Pour certains chômeurs qui retrouvent un emploi, le travail aide à la reconstruction de leur vie. Ce n'est donc sans doute pas tant d'un travail qui se compte en nombre d'heures dont la Tunisie a besoin, que d'un travail sur l'état d'esprit.

Traditionnellement, la valorisation de la notion primaire de travail (le travail pour le travail) est l'œuvre d'une société bourgeoise. Peut-être est-ce pour cela que ce sont certains membres de la société civile, ou certains partis qui le prêchent. Ou peut-être est-ce plutôt que la situation économique tunisienne est celle d'un pays en construction, et que mon prisme de lecture en tant que Franco-Tunisienne est biaisé. 

Vers la fin d'un modèle tunisien?

L'économie française n'a pas tant à se prouver que l'économie tunisienne. Et aujourd'hui, des facteurs tels que la croissance, la productivité - bien que synonymes de tout et de rien - restent des critères sur lesquels la Tunisie est évaluée par agences et organisations internationales qui veillent au grain sur la réussite ou l'échec du modèle tunisien.

Souvent plus prompt à chercher le manque économique à gagner du côté des salariés, c'est le patronat tunisien, qui, à travers la voix de Hichem Helloumi, vice-président de l'UTICA, le 30 juin dernier sur Express FM, est le premier à avoir remis l'idée de la suppression de la séance unique à l'ordre du jour cet été-ci.

Baignée dans un contexte français de tensions sociales autour de la loi travail - loi qui mènera à une flexibilisation mais sans doute aussi à une précarisation de l'emploi - je ne peux que conseiller à la Tunisie d'aller dans le sens contraire de l'idéologie qui s'y développe, et d'œuvrer plutôt à la protection de ses acquis sociaux. 

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