Certains prénoms ont été changés.
Si les politiques font souvent miroiter "le statut privilégié de la femme tunisienne" comme acquis, notamment par la promulgation du Code du Statut Personnel en 1956, la réalité est souvent (très) loin de cette image enjolivée.
Stigmatisées, pointées du doigt à cause de l'absence d'un homme dans leur vie quotidienne, certaines sont accusées d'être "de mauvaise vie".
Pour les veuves tunisiennes, les commérages vont bon train
La mort du mari peut dans certains cas fragiliser la position de certaines femmes dans la société, qui sont bien souvent contrainte de refouler leur désir d'un nouvel avenir, pour ne pas susciter les "qu'en-dira-t-on" de l'entourage familial, ou encore des voisins.
Raja, 53 ans, est veuve depuis pratiquement quinze ans, et mère de quatre enfants.
Femme au foyer vivant de la retraite héritée suite à la mort de son mari, elle a longtemps éprouvé le souhait de refaire sa vie pour lutter contre la solitude des années à venir, "lorsque mes enfants se marieront et ne seront plus à mes côtés".
Mais le refus de son plus jeune fils et de sa famille, de voir Raja en couple, a rendu ce souhait impossible.
"Je n'ai pas envie de finir ma vie seule mais quand j'en parle à des membres de ma famille, même pour rigoler, on me demande souvent d'arrêter de dire ça, d'éprouver de la honte à ressentir ce besoin du fait de mon âge avancé", explique-t-elle.
Saloua, elle, a outrepassé les commérages des proches et des voisins et a fini par se remarier. Elle s'est retrouvée veuve à la trentaine, avec trois enfants à charge.
Enchaînant les heures de travail pour subvenir à leurs besoins, elle décide alors de "s'occuper d'elle-même". Remarquant ce changement, les rumeurs vont bon train, dans son entourage, "on disait que j'avais rencontré quelqu'un et que c'était pour ça que je faisais attention à mon physique et que je me faisais belle."
"On disait que j'avais rencontré quelqu'un et que c'était pour ça que je faisais attention à mon physique et que je me faisais belle."
Quelques années plus tard, elle décide de se remarier, elle fait face à la colère de sa famille, qui voit en ce mariage "une erreur".
"On me culpabilisait, ils disaient 'regarde l'âge de tes enfants, ça ne se fait pas'".
Sous pression, elle décide de déménager dans une autre ville.
Pourquoi tant d'idées reçues?
La décision de "continuer sa vie" est également perçue comme une trahison pour le mari défunt.
"C'est ridicule", explique Kmar, une autre veuve de 67 ans.
"Quand un homme devient veuf, certaines familles cherchent très rapidement une autre épouse à celui-ci. J'ai vu des cas où le veuf se marie 40 jours après la mort de son épouse. Si une femme tente ce genre de choses, c'est une traîtresse." a-t-elle raconté au HuffPost Tunisie.
Pour le psychiatre et sexologue, Zine El Abidine Ennaïfer, la perception de la sexualité dans l'imaginaire commun joue un rôle important: "La sexualité de l'homme est vécue comme quelque chose de nécessaire. Quand une épouse décède, il lui faut une nouvelle femme parce qu'il ne peut pas se contenir. Les femmes, elles, voient leur sexualité diabolisée, parce qu'on pense qu'elles sont plus à même à se contenir que l'homme".
Le psychiatre explique que "l'organisation de la société tunisienne demeure tribale, la femme n'a de statut social que si elle est 'fille de' ou 'femme de', sans ça elle n'a plus aucune identité sociale."
Prenant l'exemple des femmes divorcées, le psychiatre dit que dans la perception commune, celles-ci sont définies comme "voraces". En effet, elles sont considérées comme "concurrentes réelles" aux femmes qui veulent se marier, "elles risquent ainsi la stigmatisation."
Après avoir divorcé, le parcours du combattant commence...
Divorcée, Imen, la quarantaine, fustige les jugements proférés à l'égard de certaines femmes : "On aura beau nous faire croire que la femme tunisienne doit s'estimer heureuse par rapport aux femmes du monde arabe, notre société reste patriarcale, machiste. Une femme qui brise ces chaînes, est stigmatisée".
Vingt ans après son divorce, Imen explique que sa famille l'a soutenue: "À aucun moment, on ne m'a fait sentir que je faisais un mauvais choix, que ce nouveau statut allait me fragiliser. Au contraire, cette décision personnelle l'est restée".
"Je ne prête pas attention aux commérages".
Forte du soutien familial, elle décidera de se marier 20 ans plus tard, à un mari plus jeune qu'elle de huit ans: "Ça c'est une toute autre paire de manche! Les gens jugent systématiquement un couple où la femme est beaucoup plus âgée que son mari. J'ai toujours vécu sans prêter attention aux 'qu'en dira-t-on', et ce n'est pas aujourd'hui que ça va me préoccuper", confie-t-elle au HuffPost Tunisie.
Pour Zine El Abidine Ennaïfer, ce désintéressement quant au regard de la société, n'empêche pas "la mise à l'écart que subissent certaines femmes divorcées. Elles doivent mener un combat sur deux fronts: celui de vivre leur vie comme elles l'entendent, et celui du regard de la société".
La donne est différente du côté de Mariem. À 23 ans, elle sort déçue d'un mariage qui aura finalement duré 6 mois. La stigmatisation qu'elle subit par son entourage ne la laisse pas indifférente.
"Une femme divorcée en Tunisie, c'est des préjugés! Beaucoup de préjugés! Ta vie privée devient le sujet favori de la famille (même) lointaine. Tes gestes sont épiés, si je rentre un peu plus tard que d'habitude, je sais que les voisins parleront derrière mon dos, qu'on dira que 'je suis une effrontée', parce que j'ai divorcé", explique-t-elle.
Même avec ses parents, la jeune femme rencontre certaines difficultés, "je suis issue d'une famille plutôt conservatrice, me marier a été synonyme de liberté. Revenir à la maison familiale, c'est très difficile, surtout que mes parents me disent implicitement que je dois penser à me remarier à un homme que je n'aime pas forcément, parce qu'après tout je ne suis plus une jeune fille... je suis divorcée".
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