Il était une fois le dessin. C'était quelque part juste avant la parole, lorsque l'Homme est devenu humain et sitôt qu'il en a pris conscience.
C'était sans doute une façon comme une autre de nier la mort et embrasser le rêve illusoire, mais nécessaire, de devenir éternel; un moyen en somme pour s'affranchir de sa condition vulgaire de sapiens-sapiens et de sa finitude.
Le dessin, et le portrait en particulier, c'est ça: une affirmation solennelle à l'univers en vertu de laquelle le temps des hommes devient infini.
Alors, on dessinera des visages, des traits, des joies, des corps, des pleurs, des tableaux de chasse, des scènes festives, des scènes de guerre victorieuses et on ira même parfois écrire, comme en Egypte, avec...des dessins.
Tous les enfants que Dieu créa iront, eux aussi, dire leurs premières syllabes sur les murs ou sur le sable ou sur des bouts de papier. C'est que le dessin, davantage qu'une locution nominale, "est" le verbe humain, vrai, ultime et authentique; un verbe premier, primitif et primordial.
Il y aura autre chose pour l'existence, peut-être la peinture. Pour l'essence en revanche, ce sera le dessin.
Mehdi Bouanani , aka Da Bro, aka Weld Houmti, est l'un de ces enfants.
Je l'ai connu quand nous étions encore adolescents dans un quartier de Sousse puis au Lycée Bourguiba de Tunis où je suivais déjà un cursus plus ou moins normal et où il est venu faire ses classes dans une filière nouvellement créée pour enfants "artistiquement" surdoués.
Quand on est une bande d'adolescents, il y a toujours quelqu'un qui traine dans la bande et qui a des dons super-naturels. Pour nous, c'était lui, Mehdi. Et il était si facile, déjà à l'époque, de reconnaitre son talent fou et primitif; ainsi que ses mains qui s'amusaient à tirer le portrait des potes qui l'entourent, à en faire des caricatures grotesques et à offrir, parfois et pour le grand bonheur de quelques adolescents paumés, des scènes érotiques d'un réalisme paradisiaque.
Plus tard, Mehdi continuera la voie des arts, à Tunis puis à Paris. Il ira au contact de l'universel, de la complexité, des courants, de la pensée et de l'histoire de l'art, de la codification, des normes et des tendances qui viennent puis s'en vont au gré du temps.
Il ira même "penser la pensée" comme dit Naceur Ben Cheikh. Mais tout cela ne l'aura aucunement perturbé ni compromis. Mehdi a fait "sa" résistance. Il a grandit, mais il est resté toujours le même enfant, à peine un peu plus grand, qui a toujours fait des portraits et qui en fera certainement encore.
Voilà qui constitue une sacrée obstination à l'heure de l'omniprésence ("démocratique") de la photo, de l'omnipotence de la technologie digitale et de cette drôle d'époque (décidément) qui, soudain, fit des milliards de photographe-portraitistes talentueux,branchés, géniaux et pléthoriques.
Pourtant, envers et malgré tout, Mehdi persiste et signe et revient à Tunis en 2016 avec cette exposition iconoclaste et éclectique dans laquelle il donne libre cours à son fusain pour nous raconter, "modulo" des portraits, des sourires radieux, des larmes orgueilleuses et tues, des rides labourées par la vie, et des regards doux et fermes à la fois, des regards en forme de pied-de-nez a priori et a fortiori au temps et à l'air du temps.
C'est que, d'abord, les modèles de cette exposition ne sont pas quelconques. Ils ont une histoire véritable qui commence quelque part au dix-neuvième siècle.
C'est là, parait-il, qu'un apprenti orientaliste aurait eu l'idée (ou l'instruction) d'illustrer la vie de quelques indigènes sous ces cieux; lesquels portraits étaient sans doute destinés à faire plus tard l'objet qui d'un traité sur les indigènes, qui d'une carte postale vantant la grandeur de l'Afrique française, de son triomphe et de sa mission civilisatrice.
Bref, il était question de quelques énergumènes sans nom, sans histoire, sans véritable particularisme, à peine avec un faciès en guise d'être. Il était question pour notre apprenti-orientaliste de capturer une vie par un flash furtif et sommaire sans la couleur, sans le passé, sans le futur et forcément, en somme, sans le sens. Et pour ça, la photo c'était parfait ; car celle-ci a fatalement ce rapport étrange avec le temps.
Distante et subtile à la fois, la photo immortalise l'instantané au dépend parfois, souvent, du temps passé et de la destiné, de la culture, voire de la nature.
Aussi, on est tenté de croire que cette exposition est un travail historiciste en bonne et due forme qui revient quelque cent ans plus tard apporter une revanche rancunière à l'Histoire dans la pure tradition haineuse de la mal-nommée école des études post-coloniales.
Or, l'affaire est assurément plus simple, car à travers le détail de leur regard à chaque fois transperçant, Mehdi redonne vie, humblement, à quelques mannequins d'autochtones et reconstruit ce que la photo, la photo orientaliste en particulier, aurait pu nier, facilement et en toute impunité: leur genre humain.
![mehdi]()
Ces portraits s'étalent donc le long du temps et de l'espace et vont à la rencontre de ce qui fait l'intimité des visages: leurs regards, leurs expressions, leurs cicatrices et le sens. Il devient ainsi, magiquement, cette grammaire avec laquelle l'âme humaine des sujets se dévoile au delà des traits et des silhouettes et se conjugue, précisément, à tous les temps.
On entrera donc sereinement dans cette exposition de portraits (vivants?) comme on va à des retrouvailles apaisées avec soi, comme on voyage dans son propre passé, composé, et vers son propre devenir. On tentera un dialogue avec eux.
De ces toiles grandeur nature, de ces regards bien réels, va se dégager -comme à chaque fois qu'on croise et qu'on échange un regard humain complice et sincère- des choses qui ne se disent pas et que ni la parole, ni le roman ne diront jamais.
Un flot de sentiments? L'amour, la haine, la tristesse et la joie? Devant ces portraits, on reste médusé, envouté.
Le temps s'arrête un instant très bref comme à chaque fois devant une déclaration, ou de grandes révélations ou de petits tremblements de l'univers, avant de comprendre, l'instant d'après, que les choses ne seront plus jamais les mêmes et que notre "interlocuteur", bien réel et juste en face de nous, fera, désormais et pour toujours, partie de nous et de notre existence: un peu beaucoup à la folie, passionnément.
Oui. Au fond, Mehdi nous offre des rendez-vous intimes avec des hommes et des femmes, réels et vivants, qui disent "des choses à nous", peut-être des choses de nous; des hommes et des femmes que nous aimerons forcément et invariablement et auxquels on s'attache rapidement, comme on s'attache à la vie.
![mehdi]()
Au fond, l'Art, c'est peut être ça. C'est même surtout ça: une expression et une impression intime.
Une impression que provoque autant le pinceau en points de Van Gogh que le rouge éclatant et abstrait de Rothko, les lignes fines de Modigliani, les formes généreuses de Botero ou encore les mises en scène de Dali et de Magritte.
Ici, chez Mehdi, "l'impression intime" est la résultante de quelques coups de fusains, la résultante exclusive du dessin.
Il y aura d'ailleurs des couleurs, nombreuses, vives et vivaces, dans le désordre et là où l'on s'y attend le moins. Comme pour dire, justement, que ce n'est pas bien important; comme pour dire que l'essentiel (ici en tout cas) c'est le dessin; et que les couleurs et leur association, soit (ici) la peinture est après tout, ici, secondaire et subsidiaire.
À y "penser", c'est un travail éminemment inclassable dont les théoriciens des arts auront, se dit-on, du mal à lui trouver une case dans le grand tableau de classification de la chose artistique formelle et normée.
Mais qu'importe.... Qu'importe ce qui sera dit au final. Mehdi, le grand enfant de Sousse, passé par Tunis et par Paris, l'enfant prodige du dessin, aura obstinément et solennellement affirmé "son" fait réel, objectif et avéré: Il était une fois le dessin, l'art premier et l'art ultime. Il en sera toujours ainsi.
C'était sans doute une façon comme une autre de nier la mort et embrasser le rêve illusoire, mais nécessaire, de devenir éternel; un moyen en somme pour s'affranchir de sa condition vulgaire de sapiens-sapiens et de sa finitude.
Le dessin, et le portrait en particulier, c'est ça: une affirmation solennelle à l'univers en vertu de laquelle le temps des hommes devient infini.
Alors, on dessinera des visages, des traits, des joies, des corps, des pleurs, des tableaux de chasse, des scènes festives, des scènes de guerre victorieuses et on ira même parfois écrire, comme en Egypte, avec...des dessins.
Tous les enfants que Dieu créa iront, eux aussi, dire leurs premières syllabes sur les murs ou sur le sable ou sur des bouts de papier. C'est que le dessin, davantage qu'une locution nominale, "est" le verbe humain, vrai, ultime et authentique; un verbe premier, primitif et primordial.
Il y aura autre chose pour l'existence, peut-être la peinture. Pour l'essence en revanche, ce sera le dessin.
Mehdi Bouanani , aka Da Bro, aka Weld Houmti, est l'un de ces enfants.
Je l'ai connu quand nous étions encore adolescents dans un quartier de Sousse puis au Lycée Bourguiba de Tunis où je suivais déjà un cursus plus ou moins normal et où il est venu faire ses classes dans une filière nouvellement créée pour enfants "artistiquement" surdoués.
Quand on est une bande d'adolescents, il y a toujours quelqu'un qui traine dans la bande et qui a des dons super-naturels. Pour nous, c'était lui, Mehdi. Et il était si facile, déjà à l'époque, de reconnaitre son talent fou et primitif; ainsi que ses mains qui s'amusaient à tirer le portrait des potes qui l'entourent, à en faire des caricatures grotesques et à offrir, parfois et pour le grand bonheur de quelques adolescents paumés, des scènes érotiques d'un réalisme paradisiaque.
Plus tard, Mehdi continuera la voie des arts, à Tunis puis à Paris. Il ira au contact de l'universel, de la complexité, des courants, de la pensée et de l'histoire de l'art, de la codification, des normes et des tendances qui viennent puis s'en vont au gré du temps.
Il ira même "penser la pensée" comme dit Naceur Ben Cheikh. Mais tout cela ne l'aura aucunement perturbé ni compromis. Mehdi a fait "sa" résistance. Il a grandit, mais il est resté toujours le même enfant, à peine un peu plus grand, qui a toujours fait des portraits et qui en fera certainement encore.
Voilà qui constitue une sacrée obstination à l'heure de l'omniprésence ("démocratique") de la photo, de l'omnipotence de la technologie digitale et de cette drôle d'époque (décidément) qui, soudain, fit des milliards de photographe-portraitistes talentueux,branchés, géniaux et pléthoriques.
Pourtant, envers et malgré tout, Mehdi persiste et signe et revient à Tunis en 2016 avec cette exposition iconoclaste et éclectique dans laquelle il donne libre cours à son fusain pour nous raconter, "modulo" des portraits, des sourires radieux, des larmes orgueilleuses et tues, des rides labourées par la vie, et des regards doux et fermes à la fois, des regards en forme de pied-de-nez a priori et a fortiori au temps et à l'air du temps.
C'est que, d'abord, les modèles de cette exposition ne sont pas quelconques. Ils ont une histoire véritable qui commence quelque part au dix-neuvième siècle.
C'est là, parait-il, qu'un apprenti orientaliste aurait eu l'idée (ou l'instruction) d'illustrer la vie de quelques indigènes sous ces cieux; lesquels portraits étaient sans doute destinés à faire plus tard l'objet qui d'un traité sur les indigènes, qui d'une carte postale vantant la grandeur de l'Afrique française, de son triomphe et de sa mission civilisatrice.
Bref, il était question de quelques énergumènes sans nom, sans histoire, sans véritable particularisme, à peine avec un faciès en guise d'être. Il était question pour notre apprenti-orientaliste de capturer une vie par un flash furtif et sommaire sans la couleur, sans le passé, sans le futur et forcément, en somme, sans le sens. Et pour ça, la photo c'était parfait ; car celle-ci a fatalement ce rapport étrange avec le temps.
Distante et subtile à la fois, la photo immortalise l'instantané au dépend parfois, souvent, du temps passé et de la destiné, de la culture, voire de la nature.
Aussi, on est tenté de croire que cette exposition est un travail historiciste en bonne et due forme qui revient quelque cent ans plus tard apporter une revanche rancunière à l'Histoire dans la pure tradition haineuse de la mal-nommée école des études post-coloniales.
Or, l'affaire est assurément plus simple, car à travers le détail de leur regard à chaque fois transperçant, Mehdi redonne vie, humblement, à quelques mannequins d'autochtones et reconstruit ce que la photo, la photo orientaliste en particulier, aurait pu nier, facilement et en toute impunité: leur genre humain.

Ces portraits s'étalent donc le long du temps et de l'espace et vont à la rencontre de ce qui fait l'intimité des visages: leurs regards, leurs expressions, leurs cicatrices et le sens. Il devient ainsi, magiquement, cette grammaire avec laquelle l'âme humaine des sujets se dévoile au delà des traits et des silhouettes et se conjugue, précisément, à tous les temps.
On entrera donc sereinement dans cette exposition de portraits (vivants?) comme on va à des retrouvailles apaisées avec soi, comme on voyage dans son propre passé, composé, et vers son propre devenir. On tentera un dialogue avec eux.
De ces toiles grandeur nature, de ces regards bien réels, va se dégager -comme à chaque fois qu'on croise et qu'on échange un regard humain complice et sincère- des choses qui ne se disent pas et que ni la parole, ni le roman ne diront jamais.
Un flot de sentiments? L'amour, la haine, la tristesse et la joie? Devant ces portraits, on reste médusé, envouté.
Le temps s'arrête un instant très bref comme à chaque fois devant une déclaration, ou de grandes révélations ou de petits tremblements de l'univers, avant de comprendre, l'instant d'après, que les choses ne seront plus jamais les mêmes et que notre "interlocuteur", bien réel et juste en face de nous, fera, désormais et pour toujours, partie de nous et de notre existence: un peu beaucoup à la folie, passionnément.
Oui. Au fond, Mehdi nous offre des rendez-vous intimes avec des hommes et des femmes, réels et vivants, qui disent "des choses à nous", peut-être des choses de nous; des hommes et des femmes que nous aimerons forcément et invariablement et auxquels on s'attache rapidement, comme on s'attache à la vie.

Au fond, l'Art, c'est peut être ça. C'est même surtout ça: une expression et une impression intime.
Une impression que provoque autant le pinceau en points de Van Gogh que le rouge éclatant et abstrait de Rothko, les lignes fines de Modigliani, les formes généreuses de Botero ou encore les mises en scène de Dali et de Magritte.
Ici, chez Mehdi, "l'impression intime" est la résultante de quelques coups de fusains, la résultante exclusive du dessin.
Il y aura d'ailleurs des couleurs, nombreuses, vives et vivaces, dans le désordre et là où l'on s'y attend le moins. Comme pour dire, justement, que ce n'est pas bien important; comme pour dire que l'essentiel (ici en tout cas) c'est le dessin; et que les couleurs et leur association, soit (ici) la peinture est après tout, ici, secondaire et subsidiaire.
À y "penser", c'est un travail éminemment inclassable dont les théoriciens des arts auront, se dit-on, du mal à lui trouver une case dans le grand tableau de classification de la chose artistique formelle et normée.
Mais qu'importe.... Qu'importe ce qui sera dit au final. Mehdi, le grand enfant de Sousse, passé par Tunis et par Paris, l'enfant prodige du dessin, aura obstinément et solennellement affirmé "son" fait réel, objectif et avéré: Il était une fois le dessin, l'art premier et l'art ultime. Il en sera toujours ainsi.
TWENSA, Exposition par Mehdi Bouanani, du 21 mai au 25 juin 2016, Galerie 32 bis, au 32bis Rue Ali Ben Ghedhahem à Tunis
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