"Nous ne sommes pas des ONG de défense ni des droits de l'Homme, ni des avocats qui plaident pour l'intérêt de leur client, notre rôle est d'instruire le dossier à charge et à décharge", insistent les juges présents dans une session de formation sur la torture en Tunisie.
Ces sessions de formation sont organisées par le ministère de la Justice tunisien en coopération avec International Bar Association’s Human Rights Institute (IBAHRI) et l'Institut danois contre la torture.
Pourquoi une formation sur la torture?
Ce projet de formation des juges tunisiens a commencé il y a trois ans. "En parlant avec les juges, ces derniers réclamaient eux-mêmes une formation sur la torture, d'où la focalisation sur ce sujet", a déclaré Fathi Zabaar, consultant à IBAHRI au HuffPost Tunisie.
Dans le cadre de ce projet, deux juges sont désignés dans chaque tribunal de première instance et cour d'appel pour bénéficier d'une formation sur la torture, ces derniers seront eux-mêmes des formateurs pour leurs collègues.
"Nous nous sommes focalisés sur des cas pratiques, loin de l'aspect théorique. Avec des situations concrètes, nous avons appris aux juges les techniques de repérage des cas de torture, comment y faire face avec les policiers ou encore les médecins légistes", a précisé Fathi Zabaar.
Un guide spécialisé, élaboré par des juges tunisiens, a servi de référence pour les juges en formation.
Parmi les rédacteurs de ce guide, Amel Wahchi, juge et inspectrice au ministère de la Justice, qui explique au HuffPost Tunisie:
"Ces instruments juridiques internationaux ont été signés par l'Etat en catimini. On n'en parle pas trop lors de notre formation académique, encore moins dans notre travail après, surtout avant le 14 janvier lorsque le sujet de la torture était encore tabou", avance la juge Faten Chakroune au HuffPost Tunisie.
Les juges appellent par ailleurs à l'harmonisation de la législation nationale, notamment le code de procédures pénales et le code pénal avec les conventions internationales ratifiées par la Tunisie afin d'enrayer les ambiguïtés et les contradictions entre eux, d'autant plus qu'ils sont tous les deux opposables.
Confrontés à cette problématique après le 14 janvier, les juges se trouvent désarmés sur le plan théorique et pratique. "Nous n'étions pas sensibles à cette question par peur, par lâcheté peut-être", reconnaît Alala Rhouma, juge d'instruction, au HuffPost Tunisie.
"Il ne faut pas se leurrer pourtant, la torture est utilisée par différents lobbies entre qui se jouent les intérêts contradictoires des ONG, des avocats, des policiers, des politiques, etc. Notre rôle est d'établir la vérité en faisant fi de ces pressions", avertit le juge d'instruction.
Il avance que dans nombreuses situations, l'accusation de torture est devenue une échappatoire pour l'accusé pour se dérober des chefs d'inculpation à son encontre, sachant que les aveux arrachés sous la torture ne sont pas pris en considération.
Comment faire dans ce cas? "Généralement, tu sens quand quelqu'un ment. Je lui demande alors de montrer les traces de violence. Si ce qu'il dit est vrai, il n'hésitera pas à me les montrer", explique Alala Rhouma.
Le juge d'instruction déplore la couverture médiatique "des supposés cas de torture": "Les médias ont tendance à exagérer les choses, accusant à tort les juges de fermer l’œil sur la torture. Je les invite à s'instruire sur ces dossiers avant de lancer ces accusations".
Alala Rhouma énumère les difficultés qui entravent le travail des juges dans les dossiers de torture. Il cite en premier lieu les policiers:" Difficile de pouvoir donner suite parfois à un dossier quand tu fais face à un policier accusé de torture, qu'il est soutenu par ses collègues et couvert par son syndicat, il n'est pas facile même parfois d'exécuter un jugement de justice à l'encontre d'un policier", fustige-t-il.
"Ceci est encore plus pénible quant certains médecins légistes, craignant les policiers, se rongent derrière eux en arguant qu'il n'y a pas de traces de torture alors que ça saute aux yeux. Je ne généralise pas du tout ; des médecins et des policiers intègres, il en existe évidemment mais on ne peut pas ignorer les situations où ce n'est pas le cas", a-t-il ajouté.
Face à des pressions émanant de toutes parts, les juges tunisiens ont réclamé à plusieurs reprises une protection renforcée. Ce n'est pas l'avis de Alala Rhouma: "Si on craint pour notre sécurité, il ne faut pas choisir de faire ce métier dès le départ".
Terrorisme, loi 52 et test anal: Qu'en est-il des accusations de torture?
"On nous dénigre à chaque fois qu'on relâche une personne accusée de terrorisme, on nous désigne comme les complices des terroristes. Pourtant nous ne faisons qu'appliquer la loi. On ne peut pas mettre en prison une personne quant le dossier est vide, quand les aveux sont arrachés sous la torture seulement parce qu'elle est désignée par les médias ou les policiers comme terroriste", explique le juge d'instruction.
La juge Faten Chkroune abonde dans ce sens: "Torturer un présumé terroriste ne peut pas être le seul moyen pour arracher des preuves, des aveux. Il y a bien d'autres preuves à chercher, d'autres charges à trouver contre lui".
En revanche, concernant l'analyse biologique en cas de consommation de cannabis ou comme le test anal pour homosexualité, le juge d'instruction écarte les accusations de complicité pour les juges qui ordonnent ces tests: "On ne peut pas faire autrement, ce genre de test demeure les seul moyen pour prouver les accusations ou pour les écarter".
Ces sessions de formation sont organisées par le ministère de la Justice tunisien en coopération avec International Bar Association’s Human Rights Institute (IBAHRI) et l'Institut danois contre la torture.
Pourquoi une formation sur la torture?
Ce projet de formation des juges tunisiens a commencé il y a trois ans. "En parlant avec les juges, ces derniers réclamaient eux-mêmes une formation sur la torture, d'où la focalisation sur ce sujet", a déclaré Fathi Zabaar, consultant à IBAHRI au HuffPost Tunisie.
Dans le cadre de ce projet, deux juges sont désignés dans chaque tribunal de première instance et cour d'appel pour bénéficier d'une formation sur la torture, ces derniers seront eux-mêmes des formateurs pour leurs collègues.
"Nous nous sommes focalisés sur des cas pratiques, loin de l'aspect théorique. Avec des situations concrètes, nous avons appris aux juges les techniques de repérage des cas de torture, comment y faire face avec les policiers ou encore les médecins légistes", a précisé Fathi Zabaar.
Un guide spécialisé, élaboré par des juges tunisiens, a servi de référence pour les juges en formation.
Parmi les rédacteurs de ce guide, Amel Wahchi, juge et inspectrice au ministère de la Justice, qui explique au HuffPost Tunisie:
"Les juges tunisiens sont mal formés sur le sujet. L'Ecole supérieure de Magistrature fournit des cours théoriques, pas très approfondis sur les droits de l'Homme en général. En conséquence, beaucoup de juges ne connaissent même pas la convention internationale sur la torture, pourtant ratifiée par la Tunisie, encore moins le protocole d'Istanbul, un document approfondi sur la torture, qui devrait être une référence pour les juges".
"Ces instruments juridiques internationaux ont été signés par l'Etat en catimini. On n'en parle pas trop lors de notre formation académique, encore moins dans notre travail après, surtout avant le 14 janvier lorsque le sujet de la torture était encore tabou", avance la juge Faten Chakroune au HuffPost Tunisie.
Les juges appellent par ailleurs à l'harmonisation de la législation nationale, notamment le code de procédures pénales et le code pénal avec les conventions internationales ratifiées par la Tunisie afin d'enrayer les ambiguïtés et les contradictions entre eux, d'autant plus qu'ils sont tous les deux opposables.
Confrontés à cette problématique après le 14 janvier, les juges se trouvent désarmés sur le plan théorique et pratique. "Nous n'étions pas sensibles à cette question par peur, par lâcheté peut-être", reconnaît Alala Rhouma, juge d'instruction, au HuffPost Tunisie.
"Il ne faut pas se leurrer pourtant, la torture est utilisée par différents lobbies entre qui se jouent les intérêts contradictoires des ONG, des avocats, des policiers, des politiques, etc. Notre rôle est d'établir la vérité en faisant fi de ces pressions", avertit le juge d'instruction.
Il avance que dans nombreuses situations, l'accusation de torture est devenue une échappatoire pour l'accusé pour se dérober des chefs d'inculpation à son encontre, sachant que les aveux arrachés sous la torture ne sont pas pris en considération.
Comment faire dans ce cas? "Généralement, tu sens quand quelqu'un ment. Je lui demande alors de montrer les traces de violence. Si ce qu'il dit est vrai, il n'hésitera pas à me les montrer", explique Alala Rhouma.
Le juge d'instruction déplore la couverture médiatique "des supposés cas de torture": "Les médias ont tendance à exagérer les choses, accusant à tort les juges de fermer l’œil sur la torture. Je les invite à s'instruire sur ces dossiers avant de lancer ces accusations".
Il insiste pourtant sur le fait que les cas de torture sont parfois bien fondés. "La torture est l'émanation de la culture de violence qu'on nous inculque et qui est ancrée dans notre société. Elle ne touche pas que le corps des policiers, c'est une mentalité", estime Faten Chakroune.
Alala Rhouma énumère les difficultés qui entravent le travail des juges dans les dossiers de torture. Il cite en premier lieu les policiers:" Difficile de pouvoir donner suite parfois à un dossier quand tu fais face à un policier accusé de torture, qu'il est soutenu par ses collègues et couvert par son syndicat, il n'est pas facile même parfois d'exécuter un jugement de justice à l'encontre d'un policier", fustige-t-il.
"Ceci est encore plus pénible quant certains médecins légistes, craignant les policiers, se rongent derrière eux en arguant qu'il n'y a pas de traces de torture alors que ça saute aux yeux. Je ne généralise pas du tout ; des médecins et des policiers intègres, il en existe évidemment mais on ne peut pas ignorer les situations où ce n'est pas le cas", a-t-il ajouté.
Face à des pressions émanant de toutes parts, les juges tunisiens ont réclamé à plusieurs reprises une protection renforcée. Ce n'est pas l'avis de Alala Rhouma: "Si on craint pour notre sécurité, il ne faut pas choisir de faire ce métier dès le départ".
Terrorisme, loi 52 et test anal: Qu'en est-il des accusations de torture?
"On nous dénigre à chaque fois qu'on relâche une personne accusée de terrorisme, on nous désigne comme les complices des terroristes. Pourtant nous ne faisons qu'appliquer la loi. On ne peut pas mettre en prison une personne quant le dossier est vide, quand les aveux sont arrachés sous la torture seulement parce qu'elle est désignée par les médias ou les policiers comme terroriste", explique le juge d'instruction.
La juge Faten Chkroune abonde dans ce sens: "Torturer un présumé terroriste ne peut pas être le seul moyen pour arracher des preuves, des aveux. Il y a bien d'autres preuves à chercher, d'autres charges à trouver contre lui".
En revanche, concernant l'analyse biologique en cas de consommation de cannabis ou comme le test anal pour homosexualité, le juge d'instruction écarte les accusations de complicité pour les juges qui ordonnent ces tests: "On ne peut pas faire autrement, ce genre de test demeure les seul moyen pour prouver les accusations ou pour les écarter".
Comment faire lorsque l'accusé refuse de subir le test? Peut-on le forcer? Est-ce absurde de recourir au test anal quand l'un des partenaires est actif et l'autre passif? On met en prison seulement le passif? A toutes ces interrogations, nos interlocuteurs hésitent, évoquant les vides juridiques, la jurisprudence, se discutent entre eux. On s'éloigne peu à peu du droit. On hôte la casquette des juristes. Un débat sur ces questions de société s'ouvrent...
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